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Les Juifs doivent-ils quitter l’Europe?

13/07/2024 Commentaires fermés sur Les Juifs doivent-ils quitter l’Europe? By Alain Soriano

L’Europe connait une montée inquiétante de la haine antijuive. Cette explosion de discours antisémites se manifeste non seulement dans la rue, à travers des actes de violence physique et verbale, mais aussi sur les réseaux sociaux, où les dérapages haineux se multiplient.

Les communautés juives européennes se retrouvent une nouvelle fois prises en étau, confrontées à une hostilité croissante provenant à la fois de l'extrême droite et de l'extrême gauche. Cette convergence d'attaques antisémites, qui gangrènent la société civile et politique représente une menace grave qu'il est impératif de prendre au sérieux.

La peur s'installe dans les communautés juives face à la montée de l'antisémitisme

La multiplication des actes antisémites ces derniers mois a créé un climat de peur et d'intimidation palpable au sein des communautés juives. En témoigne l'étude commanditée en 2024 par l'agence des droits fondamentaux de l'Union européenne (FRA) révélant que l'antisémitisme fait désormais partie de la vie quotidienne de pratiquement tous les sondés.  Cette situation a conduit de nombreuses familles à se poser une question qu'elles pensaient ne plus jamais devoir envisager : celle d'un nouvel exode.

Les Juifs doivent-ils quitter l’Europe tant qu’il est encore temps ? Si oui, pour aller où ?

La réponse à ces questions peut être trouvée dans l’enchaînement des événements ayant entrainé la détérioration de la situation des Juifs en Europe dans les années trente. Cette époque, comme aujourd’hui, fût marquée par une forte explosion des actes antisémites, une cristallisation politique autour de la « question juive » et un processus de déshumanisation des Juifs qui aboutit, comme on le sait, à l'exclusion des Juifs de la Cité, puis de la vie même. Quel fût le point de bascule qui aurait dû inciter les Juifd au départ? Ce moment-charnière est la promulgation par le pouvoir politique de lois antijuives mettant définitivement les Juifs au ban de la société. Le piège se referme alors définitivement. A partir de là, il est trop tard pour partir.

Pour le reformuler autrement, c’est l’adoption de mesures visant à exclure les seuls Juifs de la société qui devrait constituer, pour les communautés juives européennes contemporaines, le signal de leur départ. Pour ne pas voir l’histoire se répéter.

Le signal de départ?

Or, il se fait que ces mesures antijuives ont commencé à faire leur réapparition en Europe : boycott des universitaires et chercheurs israéliens de presque toutes les universités européennes, refus d’organiser un match de football avec l’équipe nationale israélienne en Belgique, interdiction pour les entreprises commerciales israéliennes de participer à une foire commerciale en France, déprogrammation d’artistes israéliens de festivals de musique ou de culture, etc.

Faut-il s’inquiéter de toutes ces mesures qui additionnées font d’Israël le Juif des Nations ? La question est posée.

Certains répliqueront que les Juifs d’Europe ne sont pas visés par ces mesures de rétorsion et que seuls les Juifs vivant en Israël le sont. Mais c’est exactement le discours que les Juifs de France tenaient à l’encontre des Juifs immigrés (Ostjuden) dans les années 30.  Avant que l’histoire ne les rattrape tous. L’antisémitisme ne connait pas de frontières.

D’autres jaugerons que c’est Israël qui est le problème et que sa disparition de la surface de la planète est la solution pour mettre un terme à l’antisémitisme en Europe. Ceux-là ne connaissent pas l’histoire. La haine des Juifs n’a pas attendu la création de l’Etat d’Israël pour prospérer. Et puis, une porte de sortie, c’est exactement ce qui a manqué aux Juifs d’Europe à la fin des années trente.

Jusqu’ici tout va bien.

Le « contrat social » illustré par le cas israélien

30/07/2023 Commentaires fermés sur Le « contrat social » illustré par le cas israélien By Simon Henry

C’est une banalité de le dire mais dans une démocratie, les gouvernants ne peuvent pas faire ce qu’ils veulent. Le régime a d’abord et avant tout été pensé comme un moyen de limiter le pouvoir du souverain. C’est le célèbre principe dégagé par Montesquieu : la meilleure protection contre l’abus du pouvoir est la division du pouvoir. L’action du gouvernement est donc limitée par des lois et des règlements, c’est-à-dire par l’Etat de droit. Ainsi, un chef de gouvernement qui annonce qu’il ne respectera pas les décisions de la cour suprême se place en dehors du cadre légal[1] et adopte un exercice non démocratique du pouvoir.

Par ailleurs, dans une démocratie dite « libérale », l’action gouvernementale est non seulement limitée par les lois et règlement mais est également encadrée par les valeurs et principes démocratiques, qui se situent au-dessus de toute la structure institutionnelle et qui sont à la base du ralliement des citoyens au régime. C’est le contrat social au sens des théories du contrat social telle que celle du Traité du gouvernement civil de John Locke. Aux Etats-Unis, ces valeurs et principes se retrouvent inscrites dans le préambule de la constitution. En Israël, ces libertés fondamentales sont solennellement affirmées dans la déclaration d’Indépendance. Le gouvernant ne peut pas les modifier sauf à détruire le pacte social entre l’Etat et ses citoyens.

La réforme judiciaire en Israël pose la question suivante : pourquoi la coalition gouvernementale veut-elle aller jusqu’au bout de cette réforme au risque de fracturer totalement la société israélienne et de menacer la survivance même de l’Etat d’Israël ?

La réponse à cette question est à rechercher du côté des cinq partis politiques qui la composent : quatre partis politiques (Parti sioniste religieux, Force juive, Shas et Judaïsme unifié de la Torah) ont comme projet politique le remplacement du régime démocratique basé sur les libertés fondamentales par un nouveau régime politique basé sur les valeurs religieuses. Quant au cinquième et dernier parti, le Likoud, il a depuis longtemps, sous la houlette de Benjamin Netanyahou, muté pour adopter tous les codes de l’illibéralisme.

Ces cinq partis qui composent la coalition gouvernementale ne cachent d’ailleurs pas leur intention.  La modification du paysage institutionnel, via la mise hors-jeu de la cour suprême, a pour objet ultime d’intenter aux libertés fondamentales, c’est-à-dire au contrat social passé entre les citoyens et l’Etat. Telle serait d’ailleurs, selon l’actuel Ministre des Finances Bezalel Smotrich, la volonté du peuple d’Israël exprimée dans les urnes lors des dernières élections législatives en 2022: la mise en place d’une nouveau régime politique où les citoyens ne sont plus égaux entre eux et où la loi qui prédomine n’est plus l’Etat de droit (la loi des hommes) mais la Halakha (la loi de D-ieu)[2]. C’est là une application pure et dure de la « tyrannie de la majorité » pour reprendre une formule célèbre du penseur Alexis de Tocqueville.

Et les opposants à la réforme ont très bien compris le message. Le début de rupture du pacte social est incarné par une situation totalement inédite dans l’histoire du pays où de milliers de réservistes refusent désormais de servir l’armée[3]. Un des deniers sondages indique que 28% des israéliens envisagent de quitter le pays[4].

En ayant pour projet politique de modifier le contrat social initial basé sur valeurs démocratiques pour les remplacer par un nouveau contrat social basé sur des valeurs religieuses, la coalition gouvernementale est donc bien sortie du cadre de la démocratie libérale. Ça tombe bien, elle n’en n’a que faire.

[1] Amir Tibon & Ben Samuels: Netanyahu Warns He Could Ignore Supreme Court if Reasonableness Clause Reinstated, Haaretz, Jul 27, 2023

[2] Yair Sheleg :  “The burden of Proof”, The Israel Democracy Institute, Jul. 2019; David Rosenberg : “What Israel’s Next Finance Minister Means When He Promises Torah-guided Economics”, Haaretz, Dec. 2022; Sharon Roffe Ofir: “Israel will be replaced by a halachic state”, Jerusalem Post, Dec. 2022.

[3] Another 10,000 IDF reservists announce they won’t serve anymore, Jerusalem Post, Jul 23, 2023.

[4] 28% of Israelis considering leaving the country amid judicial upheaval — poll, times of Israel, Time of Israel, Jul 23, 2023.

La « règle de la majorité » illustrée par le cas israélien

30/07/2023 Commentaires fermés sur La « règle de la majorité » illustrée par le cas israélien By Céline Lagrange

La réforme judiciaire qui fracture la société israélienne présente l’intérêt de remettre la démocratie au centre des débats. Chaque camp tente de se réapproprier le mot lui permettant subséquemment de jeter l’anathème sur son adversaire. Ainsi, les membres de la coalition gouvernementale proclament qu’ils ont été élus démocratiquement lors des élections législatives de 2022 et qu’ils ont la légitimité nécessaire pour engager la réforme puisqu’ils disposent d’une majorité de 64 députés sur 120 à la Knesset (le parlement). Les manifestations des opposants à la réforme, le blocage des autoroutes, les grèves, les menaces des réservistes de ne plus servir l’armée, etc. ne seraient qu’une tentative éhontée des partis de l’opposition d’aller à l’encontre de la volonté du peuple exprimée par les urnes.

La coalition gouvernementale a raison de rappeler que la règle de la majorité est une règle essentielle dans une démocratie. Encore faut-il savoir de quelle majorité on parle. Un gouvernement aux affaires sait qu’une partie de la population n’a pas voté pour son programme. Pour que ses décisions puissent être acceptées par la grande majorité de la population, il va devoir trouver un difficile point d’équilibre entre la satisfaction de son camp d’une part et la sauvegarde de la cohésion nationale d’autre part. L’essence d’une démocratie est un exercice modéré du pouvoir. Ce qui suppose la recherche constante de consensus. Là se trouve la base de ralliement des minorités à la règle de la majorité. Voilà ce qu’est la démocratie : elle est dans le consentement de la très grande majorité de la population qui accepte les règles du jeu qui ne lui sont pas nécessairement favorables.

Un sondage avant le vote de la réforme indiquait que 64% des israéliens étaient pour la recherche d’un compromis[1]. Pourtant, les partis politiques de la coalition ont finalement décidé de se passer des partis de l’opposition et de voter, seuls, le premier volet de la réforme. Or c’est ici que se trouve l’erreur d’appréciation d gouvernement. La règle de la majorité utilisée par la coalition gouvernementale pour faire passer sa réforme judiciaire était légalement admissible (sauf si la cour suprême vient elle-même dans les prochains mois à l’invalider) mais politiquement erronée. En démocratie, il y a la loi d’un côté et la pratique du pouvoir de l’autre. Lorsqu’un gouvernant entend modifier une règle du jeu majeure, ce qui est le cas lorsqu’il touche à l’équilibre des pouvoirs et donc au paysage institutionnel du pays, il ne peut pas le faire sur base du seul consentement de son camp mais doit aller au-delà de ce dernier pour conserver la cohésion nationale. Pour faire accepter sa décision sans fracturer la société israélienne, la coalition gouvernementale aurait dû rechercher le consentement de la grande majorité de la population et non pas la majorité de son propre camp par l’utilisation d’une règle de majorité alternative à celle utilisée.

C’est ce que le gouvernement n’a pas voulu entendre le 25 juillet 2023 en votant le premier pan de sa vaste réforme dans un Parlement vidé de tous les partis d’opposition avec un résultat symbolique de 64 voix pour et de 0 voix contre.  En décidant de procéder de la sorte, la coalition gouvernementale a bien fait usage d’une pratique non démocratique de l’exercice du pouvoir.

Avec pour résultats deux effets mécaniques immédiats : la cohésion nationale s’est effritée à une vitesse telle que même que même le chef du Hezbollah libanais, Hassan Nasrallah n’aurait jamais imaginé dans ses rêves les plus roses. Et la coalition gouvernementale a perdu une grande partie de sa légitimité[2] qui est pourtant essentielle pour gouverner (selon de très nombreux sondages la coalition actuelle est désormais donnée perdante et ne recueillerait plus que 52 sièges en cas de nouvelles élections)[3].

Le gouvernement israélien avait donc parfaitement raison de proclamer qu’en démocratie, c’est la règle de la majorité qui l’emporte. Il s’est juste trompé de règle.

[1] Prof. Tamar Hermann, Dr. Or Anabi: Only a Minority of Israelis Support the Proposed Judicial Overhaul, The Israel Democracy Institute, Feb 21, 2023

[2] Defeat the dictatorship’: Judicial reform protests resume across Israel, Jerusalem Post, Jul. 29, 2023

[3] Post Judicial Coup Election Polls Give Gantz 30 Seats, Netanyahu’s Gov’t Losing Majority, Haaretz, Jul 25, 2023, Half of Israelis think Ben-Gvir should be fired – poll, Jerusalem Post, March 12, 2023; Netanyahu’s Likud party plummets in local news poll, Reuters, Apr. 10, 2023

Réforme judiciaire en Israël : une formidable opportunité … pour la paix avec les Palestiniens ?

29/06/2023 Commentaires fermés sur Réforme judiciaire en Israël : une formidable opportunité … pour la paix avec les Palestiniens ? By Alain Soriano

Cela fait maintenant plus de six mois que des dizaines de milliers d’Israéliens manifestent inlassablement chaque samedi soir dans la rue Kaplan de Tel-Aviv contre la réforme judiciaire. Un rituel s’est installé dans la capitale économique et culturelle du pays : début du cortège vers 19h30 chacun apportant son drapeau israélien, deux ou trois slogans chantés, déclarations politiques sur grand écran puis retour chez soi vers 22h jusqu’au week-end prochain). Jamais une manifestation réunissant chaque semaine entre 150.000 et 250.000 personnes n’aura durée aussi longtemps dans un pays occidental. Contrairement à une idée savamment entretenue par les membres de la coalition gouvernementale en place, ces manifestants ne sont pas des « gauchistes ». La gauche n’existe plus depuis longtemps en Israël !

Ceux et celles qui descendent chaque samedi à Tel-Aviv sont en réalité des démocrates à l’avant-garde du combat contre les forces populistes arrivées début de l’année 2023 au pouvoir en Israël. Le pays est, depuis l’élection, coupé en deux et à la croisée des chemins : soit Israël se maintient dans le giron des démocraties libérales, soit il bascule dans un nouveau régime politique  gouverné par la loi de D-ieu et le suprémacisme juif. Les manifestants de la rue Kaplan jouent donc l’avenir du pays.

La question palestinienne est pourtant quasi absente dans les manifestations. Cela s’explique par le fait que depuis la deuxième Intifada, les Israéliens se sont laissés convaincre, à tort ou à raison, qu’il était vain de chercher un partenaire palestinien pour la paix et que la seule solution acceptable passait non pas par un accord de paix mais par le maintien d’un conflit à basse intensité ». Pendant 20 ans, les Israéliens ont donc vaqué à leurs occupations quotidiennes tout en confiant aux gouvernements successifs de droite comme de gauche la mise en place de mesures coercitives fortes pour maintenir l’adversaire à distance respectable. Cette approche a été payante puisque le conflit israélo-palestinien qui structurait la vie politique israélienne jusque dans les années 2000 a, depuis, quasiment disparu des débats publiques. Pendant ce temps, la droite ultra-nationaliste et messianique avançait et commençait à gangréner la société civile israélienne. Au point d’arriver au pouvoir lors des dernières élections législatives.

Le réveil des démocrates est donc brutal. Mais la tentative du gouvernement le plus extrémiste de l’histoire d’Israël de modifier le régime politique pourrait bien in fine…déboucher sur une nouveau processus de paix avec les Palestiniens. Celles et ceux qui manifestent rue Kaplan les samedis soirs ne le savent pas encore, mais la question palestinienne va bientôt leur revenir en boomerang. Tous luttent pour le maintien des fondements démocratiques du pays. « DE-MO-KRA-TIA » est le slogan entonné chaque samedi soir. Or par démocratie, il faut entendre a minima Etat de droit, égalité des droits entre les citoyens et extension des libertés individuelles (notamment les droits des LGBTQ+). Ces principes démocratiques sont universels et ne s’adressent pas seulement à la population juive. Les manifestants ne peuvent pas vouloir le maintien de la démocratie israélienne tout en maintenant un régime d’occupation et d’oppression de 2 millions Palestiniens en Cisjordanie. Démocratie et occupation ne sont pas compatibles.

Lorsque les démocrates israéliens comprendront que les extrémistes juifs qu’ils combattent aujourd’hui politiquement sont les mêmes qui peuplent les colonies les plus reculées de Cisjordanie et qu’ils sont obligés de les défendre au péril de leur vie ou de celle de leurs enfants, gageons qu’une solution pérenne au conflit avec les Palestiniens se retrouvera à nouveau sur la table. Quelques pancartes et slogans en relation avec l’occupation mais aussi avec le droit des femmes et le mouvement LGBTQ+ commencent à fleurir dans les manifestations de la rue Kaplan. En démocratie tout est lié. C’est bon signe.

Réforme judiciaire en Israël : les Juifs de Diaspora doivent sortir d’urgence de leur devoir de réserve.

24/06/2023 Commentaires fermés sur Réforme judiciaire en Israël : les Juifs de Diaspora doivent sortir d’urgence de leur devoir de réserve. By Alain Soriano

Les défenseurs de l’Etat d’Israël aiment rappeler que ce tout petit pays à l’échelle de la planète est une pointure internationale dans de nombreux domaines : high tech, agriculture, technologie militaire, scientifique, médical, etc. Bref, une réussite et un motif de fierté pour de nombreux Juifs de Diaspora.

Mais ce qu’ils ignorent peut-être, c’est que l’Etat hébreu peut aujourd’hui se targuer d’être également en avance sur son temps dans le domaine politique. Tous les pays occidentaux sont confrontés à la montée des populismes et à la possible arrivée au pouvoir d’hommes n’ayant pas pour horizon politique le maintien du régime de la démocratie libérale. Israël est un précurseur sur le sujet puisque les populistes sont, depuis les dernières élections législatives de 2022, au cœur même des institutions démocratiques et en ont commencé le démantèlement : attaques incessantes contre l’intégrité des hauts fonctionnaires, y compris le procureur général et le gouverneur de la Banque d’Israël[1], pillage de milliards de shekels du budget de l’Etat pour financer des projets nationalistes et des écoles ultra-orthodoxes qui refusent d’enseigner les matières générales[2]. transformation de la police en milice politique fonctionnant selon les caprices d’un ministre raciste (Itamar Bern Gvir)[3], transfert des pouvoirs « civils » dans les colonies de Cisjordanie à un ministre colonisateur (Bezalel Smotrich)[4], relecture de tous les manuels scolaires par un membre du gouvernement ouvertement homophobe (Avi Maoz)[5]. La liste des lois liberticides s’allonge de jour en jour et l’Etat de droit vacille en Israël.

Si le ministre de la Justice Yariv Levin arrive à ses fins et fait voter son projet de réforme judiciaire visant à neutraliser la Cour suprême, Israël obtiendrait la palme du tout premier pays occidental à sortir définitivement du régime politique de la démocratie libérale. Sans la Cour Suprême pour se dresser sur sa route, la coalition gouvernementale actuellement en place en Israël aura les mains libres et pourra à sa guise sortir de l’Etat de droit, faire main basse sur tout le territoire de la Palestine biblique et y instaurer la loi de Moïse. Telle est d’ailleurs, selon l’actuel ministre des Finances Bezalel Smotrich, la volonté du peuple d’Israël exprimée dans les urnes lors des dernières élections législatives: la mise en place d’une nouveau régime où les citoyens ne sont plus égaux entre eux et où la loi qui prédomine n’est plus l’Etat de droit (la loi des hommes) mais la Halakha (la loi de D-ieu)[6]. C’est là une application pure et dure de la « tyrannie de la majorité » pour reprendre une formule célèbre du penseur Alexis de Tocqueville. Bref, l’opposé d’un régime démocratique. De quoi faire rugir de plaisir Donald Trump et tous les suprémacistes blancs américains (Mike Pence, Ron DeSantis, etc.) qui se présentent les uns après les autres à l’investiture du parti républicain aux Etats-Unis.

Et les Juifs de Diaspora dans tout cela ? Aux Etats-Unis, ils protestent massivement contre les projets du gouvernement israélien au point que l’on évoque désormais une véritable cassure entre les Juifs américains et Israël[7]. En Europe, la situation est différente pour des raisons historiques. Un procès en illégitimité est généralement intenté aux Juifs de Diaspora qui osent adopter une position critique à l’égard de l’Etat d’Israël. Sauf que cette fois, la réforme judiciaire ne concerne pas une affaire intérieure mais le cadre général même de l’Etat d’Israël, c’est-à-dire le pacte commun qui fait liaison entre les Juifs d’Israël et les Juifs de Diaspora. Le projet sioniste tel qu’imaginé par les Pères fondateurs (Herzl, Ben Gourion, etc.) est remis en cause par une coalition gouvernementale qui a un autre projet politique pour Israël. Face à ce danger existentiel, les Juifs de Diaspora ont l’obligation morale de sortir de leur devoir de réserve qui frise aujourd’hui le ridicule et de stopper par tous les moyens ce projet destructeur.

Car que les Juifs de Diaspora ne s’y trompent pas, si le projet de réforme judiciaire est voté, ce sera le prélude en Israël, soit à la guerre civile (le point de bascule a déjà failli avoir lieu en mars lorsque Benjamin Netanyahou a limogé son ministre de la Défense avant de se raviser face à la colère de la rue, la fronde de l’armée et l’annonce de la grève générale illimitée décrétée par le puissant syndicat Histadrouth), soit à un exode massif des Israéliens démocrates qui ne voudront pas vivre dans une théocratie. Avec en prime une restriction drastique de la Loi du Retour. Les ennemis d’Israël, et ils sont nombreux, se frottent déjà les mains.

[1]Israeli Minister Blasts Bank of Israel Governor as a ‘Savage’”, Haaretz, Jun. 2023;

[2] Ilan Ben Zion: “Israel’s Netanyahu and allies pass new budget with sweeping grants for settlements, ultra-Orthodox”, May 2023, Associated Press (AP);

[3] Dan Williams: “Israël autorise la création d’une garde nationale réclamée par Ben-Gvir » ; Avr. 2023, Reuters ;

[4] Udi Dekel: “From Slow to Accelerated Annexation: Transferring the Civil Administration from the Minister of Defense to the Minister of Settlement”, Dec. 2022, Institute for National Security Studies (INSS);

[5] Lior Dattel: “Far-right Homophobic MK Avi Maoz Is Back in Israel’s Schools to Monitor Curriculum, Administrators”, May 2023, Haaretz;

[6] Yair Sheleg :  “The burden of Proof”, The Israel Democracy Institute, Jul. 2019; David Rosenberg : “What Israel’s Next Finance Minister Means When He Promises Torah-guided Economics”, Haaretz, Dec. 2022; Sharon Roffe Ofir: “Israel will be replaced by a halachic state”, Jerusalem Post, Dec. 2022.

[7] Yitz Greenberg: “Smotrich, Ben-Gvir are damaging Israel’s Jewish character”, Jerusalem Post, Oct. 2022

Le boycott culturel d’Israël par BDS

28/04/2019 Commentaires fermés sur Le boycott culturel d’Israël par BDS By CERSP

Une initiative du PACBI

Le boycott culturel international d’Israël est une initiative lancée par un collectif regroupant des universitaires, artistes et autres intellectuels palestiniens, le PACBI[1], à la suite du Forum des ONG de Durban de 2001. Co-fondé par Omar Barghouti, il demande à la communauté internationale de boycotter l’ensemble des activités culturelles ou festives organisées en Israël, allant des festivals cinématographies à des expositions d’art, en passant par des performances musicales et de danses, conférences, etc., ainsi que les manifestations internationales commanditées, financées ou parrainées par Israël.

Le PACBI exhorte les travailleurs culturels internationaux(artistes, écrivains, cinéastes) et les organisations culturelles, y compris les syndicats et les associations, dans la mesure du possible, à boycotter et/ou à œuvrer en faveur de l'annulation d'événements, d'activités, d'accords ou de projets impliquant Israël, ses groupes de lobbying ou ses institutions culturelles, ou qui, d'une autre manière, favorisent la normalisation d'Israël dans la sphère culturelle mondiale, blanchissent les violations par Israël du droit international et des droits des Palestiniens ou violent les directives du BDS.

Source: PACBI Statement: "Guidelines for the International Cultural Boycott of Israel ", July 2014 (trad. libre)

Trois axes

Les lignes directrices édictées par BDS pour le boycott culturel international d’Israël tournent autour de trois axes majeurs :

1. La culture permettrait d'occulter les crimes d'Israël

Par présomption, toutes les institutions culturelles israéliennes sont les complices du régime sioniste.

Les institutions culturelles israéliennes font partie intégrante de l'échafaudage idéologique et institutionnel du régime israélien d'occupation, de colonisation et d'apartheid contre le peuple palestinien. Par leur silence ou leur participation active, ces institutions sont clairement impliquées dans le soutien, la justification et le blanchissement de l'occupation israélienne et le déni systématique des droits des Palestiniens.

F.A.Q.: "How are Israel cultural institutions complicit in Israeli violations of Palestinian rights? " (trad. libre)

BDS interdit à quiconque le droit d’assister ou de participer à des activités culturelles réalisées sur le territoire israélien (par ex. l’Eurovision 2019, Gay-Pride, etc.) car cela contribue « à donner la fausse impression qu’Israël est un pays normal ».

2. La culture serait un outil de propagande (Hasbara)

La culture est exclusivement perçue comme un instrument de propagande visant à donner une image positive d’Israël (Hasbara). Elle ferait partie d’un vaste plan marketing ourdi par les plus hautes instances de l’Etat hébreu pour redorer son blason à l’étranger[2]. BDS interdit dès lors à quiconque le droit d’assister ou de participer à des manifestations culturelles internationales (par ex. Tel-Aviv sur Plage à Paris) commanditées, parrainées ou financées par Israël ou ses officines locales car cela ferait partie de son plan machiavélique « visant à améliorer son image » et développer ainsi la « marque Israël » à l’étranger.

Pour cette même raison, BDS refuse toute collusion avec les pacifistes et intellectuels israéliens. Les élites culturelles et universitaires sont « naturellement » les fers de lance de la « hasbara » version marketing. Israël leur assigne en permanence la « mission de contribuer à la lutte contre la délégitimation en apparaissant à l’étranger comme les représentants d’une culture pluraliste, créative et dynamique »[3].

3. La culture modifierait le paradigme du conflit

La culture n’est jamais vue comme un moyen pacifiste de rapprocher les peuples. Pour BDS, le rapport entre Israéliens et Palestiniens est basé sur le paradigme oppresseur/opprimé. Les productions artistiques mixtes israélo-palestiniennes doivent être boycottées car elles contribuent « à donner la fausse impression que les parties au conflit sont égales entre elles » et viennent de ce fait modifier le paradigme originel en mettant les deux parties sur un plan symétrique, toutes deux « responsables du conflit »[4].

Toutes les activités culturelles, projets, événements et produits impliquant des Palestiniens et ou d'autres arabes d'une part et des Israéliens de l'autre et qui sont fondés sur le faux principe de symétrie entre les oppresseurs et les opprimés ou qui laisseraient entendre que les deux, colonisateurs et les colonisés, sont co-responsables du " conflit" sont des formes de normalisation intellectuellement malhonnêtes et moralement répréhensibles qui devraient être boycottées. Loin de remettre en cause le statu quo injuste, de tels projets contribuent à son renforcement.


PACBI Statement: "Guidelines for the International Cultural Boycott of Israel ", July 2014 (trad. libre)


[1] Palestinian Campaign for the Academic and Cultural Boycott of Israel

[2] Nathaniel Popper : “Israel Aims to Improve its Public Image”, Forward, October 2005.

[3] Françoise Feugas, « Derrière la vitrine culturelle, une intolérable occupation », 19 mai 2017

[4] PACBI Statement : « Israel’s Exceptionalism : Normalizing the Abnormal”, October 2011

Boycott économique total ou partiel ? Que veut BDS?

Pourquoi BDS appelle-t-il au boycott économique total d’Israël et pas uniquement des produits fabriqués dans les colonies implantées en Cisjordanie occupée ?  La réponse à cette question doit être recherchée du côté de l’objectif du mouvement et des revendications formulées dans sa Charte (1).

L'étiquetage des produits fabriqués dans les colonies

L’Union européenne a pris la décision en 2015 d’étiqueter les produits originaires des colonies israéliennes implantées en Cisjordanie occupée au grand dam du gouvernement israélien (2). Cet étiquetage est un signal politique clair envoyé par les pays européens à l’Etat hébreu, une ligne rouge : les colonies sont jugées illégales au regard du droit international. Partant, les produits qui y sont fabriqués ne sont pas des produits fabriqués en Israël et ne peuvent pas bénéficier des accords de libre-échanges et des tarifs douaniers préférentiels conclus entre Israël et l’Union Européenne.

L’idée selon laquelle la communauté internationale doit faire pression sur Israël pour conclure un accord de paix avant qu’il ne soit trop tard peut paraître séduisante pour certains partisans d’une solution à deux Etats. Cette pression aurait pour objectif de corriger le rapport de force en faveur de la partie palestinienne la plus faible en forçant Israël à accepter un compromis historique équilibré qui satisfasse in fine les deux parties. Dans le cadre de cet horizon politique, l'étiquetage des produits fabriqués dans les colonies pourrait se révéler un moyen d’action efficace, n’en déplaise aux Israéliens.

Le boycott économique total

Contrairement à ce que d’aucuns pourraient penser, le collectif palestinien BDS n’appelle pas au seul boycott des produits fabriqués par des entreprises israéliennes dans des colonies implantées en Cisjordanie occupée mais demande aux consommateurs occidentaux de boycotter toutes les entreprises israéliennes et toutes les entreprises occidentales qui participent activement à l’économie israélienne (3).

Cet appel au boycott intégral doit être mis en perspective avec les objectifs du mouvement et des revendications formulées dans sa Charte. BDS est un mouvement qui se revendique radicalement antisioniste. Il considère que le caractère juif de l’Etat d’Israël doit être abandonné, de gré ou de force, par les Israéliens, car il empêche l’autodétermination du peuple Palestinien. La résolution du conflit israélo-palestinien passe donc de facto par une solution à un seul Etat et non pas par une solution à deux Etats. Dans le cadre de cet horizon politique où la paix se fait sans Israël, le boycott intégral prend tout son sens puisqu’il vise à étrangler économiquement l’Etat hébreu jusqu’à ce qu’il capitule et abandonne son caractère juif.

Le but de BDS n’est donc de
corriger le rapport de force pour forcer Israël à un compromis historique avec
les Palestiniens. Son objectif est d’engager une épreuve de force avec Israël en vue de le contraindre à abandonner
ce qui constitue le fondement même de son existence, son caractère juif.

Le choix du boycott : pacifique ou belliqueux

En France, de nombreux corps intermédiaires, partis politiques (EELV, LFI, NPA), syndicats (CGT), ONG (Oxfam, Attac), associations caritatives, etc., de mêmes que de nombreuses personnalités politiques ou de la société du spectacle ont apporté ces dernières années leur soutien aux campagnes de boycott lancées par le collectif palestinien BDS.

Mais comme nous l’avons vu, le boycott économique peut être un moyen pacifique pour arriver à la paix avec Israël ou un moyen belliqueux pour arriver à la paix mais sans Israël. Aussi, il serait bon que les supporteurs de BDS lèvent rapidement toute ambiguïté sur les fondements de leur soutien. Si l’objectif de leur boycott vise à rétablir un rapport de force plus favorable pour les Palestiniens dans le cadre de la relance d’un processus de paix visant à la création de deux Etats, alors ils doivent impérativement s’écarter du boycott préconisé par BDS, voire même le dénoncer. Si par contre leur soutien au boycott belliqueux prôné par BDS a bien pour objectif de créer une épreuve de force en vue d’obtenir la reddition forcée des Israéliens dans le cadre d’une solution imposée à un seul Etat où le sort des 7.000.000 de Juifs n’est pas encore fixé, alors ils ont frappé à la bonne porte.


(1) S. Henry: "Quelles sont les revendications précises de BDS?", CERSP, février 2019

(2) P. Smolar: “L’étiquetage par l’UE des produits fabriqués dans les colonies provoque la fureur d’Israël », Le monde, Novembre 2015.

(3) FAQs: "Does BDS call for a boycott of the whole of Israel or just the illegal settlements?", www.bdsmovement.org

[4]: Laurent Joffrin: "BDS: les dessous d'un boycott", Libération, août 2015; Martine Gozlan : "Ce que cache le boycott d'Israël", Marianne, mai 2016.

Le boycott économique d’Israël par BDS

Contrairement à ce que d’aucuns pourraient penser, le collectif palestinien n’appelle pas au boycott des seuls produits fabriqués par des entreprises israéliennes dans des colonies implantées en Cisjordanie occupée mais demande aux consommateurs occidentaux de boycotter toutes les entreprises israéliennes et toutes les entreprises occidentales qui participent activement à l’économie israélienne.

« Seuls les produits des colonies sont illégaux, alors pourquoi boycotter tous les produits israéliens ? D’abord, les discriminations que nous dénonçons touchent également les Palestiniens à l’intérieur des frontières d’Israël. Ensuite, la résolution 194 de l’ONU stipule le respect et la mise en œuvre du droit au retour des réfugiés palestiniens dans leurs maisons, y compris à l’intérieur des frontières de 1948. Enfin, dans sa dimension coloniale, c’est bien l’Etat d’Israël, son armée et ses entreprises qui sont responsables et qui profitent économiquement de l’occupation de tousles territoires illégaux, de la construction du Mur, du blocus de Gaza etc. A l’époque de l’Apartheid, n’aurait-il pas été absurde de ne boycotter que les bantoustans et pas le Cap, Johannesburg ou Pretoria? ».

source : F.A.Q. de BDS: "Does BDS call for a boycott of the whole of Israel or just the illegal settlements?" (trad. libre)

Le modus operandi d'une campagne

BDS a lancé au cours de ces dernières années d’une part de grandes campagnes transnationales, considérées comme prioritaires, appelant au boycott des grandes marques israéliennes comme par exemple les gazéificateurs d’eau SodaStream, les produits cosmétiques Ahava, les oranges Jaffa, les médicaments génériques Teva, etc. et d’autre part, des campagnes internationales pour boycotter des multinationales américaines ou européennes qui ont, pour le collectif palestinien, une implication active dans l’économie israélienne comme par exemple la société de construction Caterpillar, la société de produits informatique Hewlett-Packard, etc.

Le point commun entre toutes ces campagnes est leur mode opératoire identique.

BDS est une organisation pyramidale composée de trois couches : au sommet de la pyramide se trouve le comité central BNC avec Omar Barghouti comme porte-parole. Les militants et supporters constituent, la base de la pyramide. Quant aux partenaires étrangers privilégiés, ils sont la courroie de transmission et servent de relai entre le sommet et la base.  [1]

Rôle du comité central BNC

Le BNC, au sommet de la pyramide organisationnelle du mouvement, est à l’initiative de toutes les campagnes transnationales (ex. campagnes contre Véolia, GS4, etc.) considérées comme prioritaires. C’est lui qui détermine la cible, les messages-clefs qui seront véhiculés au cours de la campagne ainsi que l’argumentaire qu’il faudra déployer auprès de l’opinion publique pour justifier la mise au ban de l’entreprise ainsi ciblée.

Rôle des représentants "officiels" locaux

Les représentants "officiels" locaux (au nombre de quarte en France: BDS France, UJFP, AURDIP et AFPS), courroie de transmission entre le sommet et les militants de la base, ont pour mission de relayer la campagne au niveau national et de s’assurer que les actions locales cadrent avec les messages fixés par le sommet de la pyramide. Ils leur fournissent du matériel militant (tracts, modèle de lettres de protestation, autocollant, etc.) et recommandent aux acteurs locaux d’éviter la dispersion et de se concentrer sur quelques cibles.

« Des milliers d’entreprises de tous les pays commercent, échangent et investissent avec des centaines d’entreprises israéliennes, participant au bien être de ce pays colonial, sans se soucier d’aucune obligation ni des droits des Palestiniens. Essayer de boycotter activement chaque entreprise qui collabore à l’apartheid israélien est voué à l’échec en terme d’effet concret. Pour qu’elle soit efficace, une campagne de boycott doit être ciblée, stratégique, argumentée, qu’elle ait une chance de gagner, qu’elle soit utilisée collectivement, si possible à l’échelle mondiale, et sur le long terme. C’est pourquoi, les Palestiniens eux-mêmes recommandent aux campagnes nationales BDS de choisir un nombre limité de cibles de boycott et de concentrer leurs efforts sur ces cibles. Les Palestiniens connaissent bien les sources de leurs souffrances et nous font les meilleures recommandations pour une campagne BDS efficace ».


site internet de BDS France : « Que boycotter ? Tous ensemble dans la campagne internationale BDS», janvier 2018.

Ils diffusent ensuite le compte-rendu des actions locales sur les réseaux sociaux. Les victoires engrangées au niveau national remontent, elles, vers le BNC qui les publie sur le site internet officiel du mouvement (www.bdsmovement.net).

Rôle de la base

Les militants et supporters locaux, à la base de la pyramide, sont chargés d’animer les actions sur le terrain qui se matérialisent majoritairement de la manière suivante :

  • Ils tiennent des stands d’information et mènent des actions de protestation devant ou à l’intérieur même des supermarchés et des grands magasins pour alerter les consommateurs sur les produits étiquetés Israël « impropres à la consommation »;

  • Ils font circuler des listes éparses de divers produits à boycotter sur les réseaux sociaux. Une application mobile (Buycott) a même été développée permettant aux consommateurs de détecter rapidement si un produit provient ou non d’Israël.

  • Ils interpellent les directeurs de grands magasins en leur demandant de retirer les produits étiquetés Israël de leurs rayons.

BDS encourage en théorie toutes les initiatives citoyennes spontanées.

"La Campagne BDS France fonctionne de manière souple et décentralisée. Des réunions de coordination nationale ont lieu une fois par mois, à Paris pour des raisons pratiques. Les représentants des différents membres de la Campagne y discutent de l’état de la Campagne, des objectifs, fixent des priorités, choisissent éventuellement des dates d’action nationales, qui peuvent tout à fait refléter une demande locale. Des groupes de travail sont parfois constitués par des militants des différentes organisations, sur la base du volontariat, pour coordonner telle ou telle action, ou travailler sur un sujet particulier. Les décisions se prennent au consensus dans un esprit unitaire. Les organisations membres de la Campagne paient chaque année une cotisation. Pour les aspects techniques, et par souci d’efficacité et de réactivité, un petit groupe de coordination a été mis en place et organise la vie pratique de la Campagne, fait le lien avec le local, propose des outils et des actions et suit les affaires juridiques. Ce groupe est composé de militants des différentes organisations et associations et il est basé sur un principe de volontariat. Les membres du groupe de coordination sont amenés à tourner régulièrement, mais dans un souci de continuité et d’efficacité sur le long terme."

Source : site internet de BDS France: "Qui sommes-nous?"

Les campagnes de boycott permettent de mettre en perspective la structure et l’organisation pyramidale du mouvement. Dans la pratique, les campagnes de boycott ne sont pas aussi spontanées que ne le prétend BDS. Les grandes campagnes transnationales sont initiées, organisées et structurées par la couche supérieure du mouvement, le BNC. Les campagnes nationales sont, elles, supervisées par la couche intermédiaire, les représentants "officiels" locaux qui sont chargés d’encadrer les acteurs locaux sur le terrain. La strate inférieure du mouvement, composée de militants et supporters locaux, ne dispose que d’un faible pouvoir de décision, au mieux un pouvoir de suggestion.


[1] CERSP : "Organisation générale de BDS"

La prochaine Gay-Pride à Gaza

La lutte pour les droits des LGBT+ est un combat politique. Que Tel-Aviv soit aujourd’hui la première, et la seule, ville gay-friendly du Moyen-Orient a quelque chose de très rafraîchissant car le combat est long et difficile. Pouvoir porter haut le drapeau arc-en-ciel du mouvement dans les rues de Jérusalem est également un acte d’une portée symbolique sans aucun autre précédent dans la région. Une jeune fille sauvagement assassinée par un juif religieux lors de la Gay Pride en 2015 en a d’ailleurs payé le prix fort. Quand on connait le côté obscurantiste de la ville Sainte et la sociologie toute particulière de sa population, avoir l’opportunité d’y revendiquer les droits LGBT+ relève bel et bien du miracle. 

La boycott d’Israël : gay-friendly?

Une part de la communauté LGBT+ occidentale a pourtant décidé de répondre à l’appel de BDS au boycott de toutes les manifestations LGBT+ (festivals, Gay Pride, etc.) qui se déroulent en Israël. La  dernière campagne en la matière s’intitule « Non au Pinkwashing de l’Eurovision ! Près de 90 groupes LGBT+ appellent au boycott du concours de chant en Israël ». Pour le collectif palestinien, la culture gay qui s’est développée notamment à Tel-Aviv[1] ferait en réalité partie d’un vaste plan de communication  (« hasbara ») élaboré par l’Etat hébreu pour se construire une bonne image auprès de la communauté internationale. L’opération de séduction (« pinkwashing ») des LGBT occidentaux est, selon le communiqué du PACBI à l’initiative de la dernière campagne, une « utilisation cynique des droits des homosexuels afin de détourner et de normaliser l’occupation, la colonisation et l’apartheid israélien »[2]

Campagne de boycott LGBT contre un festival de films à Tel-Aviv

Hégémonie culturelle

La raison d’une telle position doit être recherchée du côté de l’idéologie dominante qui traverse la couche intermédiaire du mouvement BDS. Les organisations altermondialistes (partis politiques, syndicats, ONG, etc.) qui ont pour mission de faire la jonction entre le collectif palestinien situé au sommet de la pyramide et les supporters occidentaux situés à sa base sont dans un combat idéologique. Elles considèrent que les démocraties capitalistes libérales ne servent que les intérêts de la classe dominante au détriment des peuples. Si on devait résumer leur pensée en utilisant la vulgate marxiste, on dirait que le rôle de la superstructure étatique, reflet des rapports de production, n’est rien d’autre que l’instrument par l’intermédiaire duquel la classe dominante exerce le pouvoir.

Dans ce mouvement de pensée, tous les « appareils idéologiques » de cet Etat libéral doivent être combattus car ils ne sont mis en place qu’au profit et dans l’intérêt des seuls dominants.  La bourgeoisie occidentale arrive par ex. à se maintenir au pouvoir parce qu’elle a établi son hégémonie culturelle sur la société par l’intermédiaire des intellectuels[4]. La culture occidentale, d’essence bourgeoise, est donc celle du groupe dominant et non du peuple. Il en va également de même du multipartisme, de la liberté d’expression, etc. On pourrait même y ajouter la laïcité dans le cas très particulier de la France.

Antisionisme de type idéologique

La gauche altermondialiste a inscrit la lutte contre le sionisme au programme de son combat idéologique. Le sionisme, rattaché au système mondial de l’impérialisme, est ainsi amalgamé à des thématiques comme l’avenir de la mondialisation, les dangers écologiques, la pauvreté croissante du Tiers-Monde. Dans cette représentation du monde, Israël, assimilé aux Etats-Unis et à la mondialisation libérale, est présenté comme un Etat colonial et raciste qui opprime sans fondement un peuple innocent du Tiers-Monde. Cet Etat est donc illégitime et, conformément à sa doxa, tous ses « appareils idéologiques » doivent être combattus car ils ne sont là que pour maintenir la domination de la minorité juive sur le peuple palestinien.

On comprend maintenant mieux la raison pour laquelle la gauche altermondialiste soutient tous les appels de BDS au boycott d’Israël y compris les milieux académiques et culturels. Les élites culturelles et universitaires sont « naturellement » les fers de lance de la « hasbara » version marketing. Israël leur assigne en permanence la mission de contribuer à la lutte contre la délégitimation en apparaissant à l’étranger comme les représentants d’une culture pluraliste, créative et dynamique[5].La culture n’est donc jamais vue comme un moyen pacifiste servant à rapprocher les deux peuples mais exclusivement comme un instrument de propagande utilisé de manière machiavélique par Israël pour se donner une image positive à l’étranger. Il en va de même pour la culture gay qui s’est développée en Israël. La lutte LGBT+ est instrumentalisée par Israël pour se donner l’image d’un pays ouvert. Elle ne viserait qu’à « camoufler la guerre, l’occupation, le conservatisme religieux et l’homophobie derrière le paravent sea, sex and sun de la plaisante cité balnéaire »[3].

Campagne de boycott LGBT contre la Gay-Pride à Tel-Aviv

La prochaine Gay-Pride à Gaza ?  

Le combat en faveur des droits des LGBT+ est légitimement porté par la gauche altermondialiste… sauf lorsqu’il se manifeste en Israël. Dans ce cas, cette lutte devient automatiquement suspecte. Tout ce qui pourrait paraître positif dans la société israélienne n’est pour elle que leurre, propagande et duperie.

Plutôt que de boycotter les festivals gays israéliens, les groupes LGBT+ feraient bien de s’intéresser d’un peu plus près aux 172 organisations palestiniennes qui composent le collectif palestinien lui-même. Ils découvriraient alors l’ouverture toute relative de ces organisations aux respects des droits des homosexuels. Dans la région, la seule alternative qui se présente à un individu LGBT+ (de la Syrie en Irak en passant par les pays du Maghreb ou les territoires palestiniens) est au mieux la prison, au pire la mort. Sauf en Israël.

Ces groupes LGBT+ devraient proposer au collectif palestinien BDS de leur organiser une gigantesque Gay Pride dans les territoires palestiniens. Juste pour voir si Gaza se révèle aussi gay-friendly que Tel-Aviv.


[1] « Tel-Aviv, la capitale homosexuelle du Moyen-Orient », Le Monde, 08.06.2012.

[2] Boycott Eurovision in Israël and Tel-Aviv Pride

[3] Jean Stern : « Mirage gay à Tel-Aviv », Libertalia, Paris, 2017.

[4] Voir par ex. les travaux d’Antonio Gramsci et de Louis Althusser. Voir également « Rémi Noyon : « Mélenchon s’en prend au « parti médiatique ». Mais d’où sort cette expression ? », L’Obs, mars 2018.

[5] Françoise Feugas, « Derrière la vitrine culturelle, une intolérable occupation », mai 2017



Le message de BDS

26/02/2019 Commentaires fermés sur Le message de BDS By CERSP

Quel est le message que BDS entend envoyer à la communauté internationale? Un examen comparatif des différentes campagnes de boycott orchestrées ses dernières années par le collectif palestinien BDS nous permet de dégager ses deux thématiques centrales et, partant, de décrypter son message.

Le thème de la colonisation judéo-israélienne

BDS décrit dans toute sa communication Israël comme un Etat colonial c’est-à-dire comme une création fictive des puissances occidentales qui auraient importés « leurs » juifs (principalement européens et américains) dans la région pour y maintenir leur domination économique, culturelle et politique. BDS ne considère donc pas le sionisme comme un mouvement de libération nationale du peuple juif mais le décrit comme une entreprise coloniale criminelle. En résumé, pour BDS la présence juive sur une partie du territoire de la Palestine historique n’est pas légitime. (1)

Le thème du racisme

BDS décrit également dans toute sa communication Israël comme un Etat d’apartheid. Sa reconnaissance par la communauté internationale « en tant qu’Etat juif » est une erreur historique car « elle contient inévitablement la légitimation d’un régime dans lequel l’appartenance ethnico-religieuse ou raciale de quelqu’un constitue le critère de base pour un système institutionnel universel de ségrégation tenant à privilégier les uns et à discriminer les autres » (2). Pour BDS, le crime d’apartheid, le caractère juif de l’Etat d’Israël, se situe donc dans la conception même de l’Etat. (3)

Le vocabulaire lié aux deux thèmes

Les deux thèmes qui tournent en boucle dans toutes les campagnes de boycott peuvent être illustrés par le vocabulaire particulièrement belliqueux utilisé par le collectif palestinien à l’encontre de son adversaire. Israël y est décrié ad nauseam comme un Etat « raciste », « d’apartheid », « voyou », « criminel » mais aussi« assassin et tueur d’enfants » (4). Les expressions comme « régime d’oppression coloniale », « domination », « exploitation », « épuration ethnique » voir même « génocide » sont fréquemment utilisées pour décrire le régime sioniste (5).

Le message de BDS à la communauté internationale

Il devient ainsi possible de décrypter le message que le collectif palestinien entend faire passer à la communauté internationale : Israël, en tant qu’Etat juif, est illégitime puisqu’il s’agit d’une entreprise coloniale criminelle qui se rend coupable du crime d’apartheid.

Stratégie et message

La campagne BDS ne vise pas seulement l'économie israélienne, mais remet en cause la légitimité d'Israël, en tant qu'État colonial et d'apartheid, en tant que membre de la communauté internationale. Par conséquent, des efforts sont nécessaires non seulement pour promouvoir un vaste boycott des consommateurs, mais également dans les domaines universitaire, culturel et sportif.

Source: First Palestinian Conference for the Boycott of Israel, summary report, novembre 2007

C’est donc le projet sioniste qui est clairement dans la ligne de mire de B.D.S. L’idée d’un Etat-Nation où les Juifs du monde entier disposeraient d’un droit au retour et où le régime politique assurerait à la population juive d’être majoritaire, doit être abandonné par les Israéliens car il induit de facto la négation des droits humains des Palestiniens et empêche leur autodétermination. La mise au ban d’Israël par l’ensemble de la communauté des Nations a pour objectif de contraindre les Israéliens à renoncer au caractère juif de leur Etat, seule condition pour que les droits humains des Palestiniens soient enfin respectés.


(1) CERSP: "Que veut-dire "colonisation" pour BDS?"

(2) Voir notamment à ce sujet la Charte de l’association américaine US Campaign for Palestinian Rights (USCPR), un des partenaires américaines de B.D.S., qui stipule ce qui suit : « We stand against Zionism as a political system that privileges the rights of Jews over the rights of others ».

(3) CERSP : "Que veut-dire "apartheid" pour BDS?"

(4) Pour le B.A.C.B.I. par exemple, les enfants palestiniens sont tout particulièrement visés par l’oppression israélienne. Voir notamment à ce sujet : Herman De Ley : « Le boycott d’Israël (BDS), un devoir moral », BACBI-Dossier N° 3, p.7

(5) "Cartographie des actions militantes en France", Les Cahiers du CERSP, 4/2019