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Que veut dire « apartheid » pour BDS ?

BDS qualifie Israël dans toute sa communication non pas d’Etat sioniste mais d’Etat d’apartheid. Ce terme fait bien évidemment directement écho à la lutte contre la ségrégation raciale en Afrique du Sud qui est une constante au sein du mouvement national palestinien.

Pour BDS, le boycott d’Israël est un devoir moral

Il existerait tout d’abord un apartheid à l’intérieur même de l’Etat hébreu puisque les droits des Juifs n’y sont pas les mêmes que les droits des non-Juifs. Il existerait ensuite un apartheid extérieur puisque le droit de retour est autorisé pour les Juifs mais interdit pour les Palestiniens. Ainsi la loi israélienne confère aux Juifs du monde entier le droit d’entrer en Israël et d’obtenir la citoyenneté israélienne, quel que soit leur pays d’origine alors que les Palestiniens sont privés d’un droit comparable. Il existerait un apartheid extérieur encore dès lors que les droits des 350.000 colons juifs sont différents des droits des Palestiniens en Cisjordanie occupée puisque les premiers sont soumis au droit civil israélien alors que les seconds sont régis par le droit militaire.

Le boycott d’Israël serait donc pour le collectif palestinien comme pour ses soutiens occidentaux[1] un devoir moral.

Le crime d’apartheid en droit international

En accolant systématiquement le qualificatif « d’apartheid » à l’Etat d’Israël, le message que BDS entend faire passer à la communauté internationale va cependant bien au-delà de la simple référence à l’apartheid sud-africain.

Pour le collectif palestinien, la reconnaissance par la communauté internationale de l’Etat d’Israël « en tant qu’Etat juif » est une erreur historique car « elle contient inévitablement la légitimation d’un régime dans lequel l’appartenance ethnico-religieuse ou raciale de quelqu’un constitue le critère de base pour un système institutionnel universel de ségrégation tenant à privilégier les uns et à discriminer les autres » [2]. Pour BDS, le crime d’apartheid, le caractère juif de l’Etat d’Israël, se situe donc dans la conception même de l’Etat.

Or l’apartheid est considéré par le droit international comme le deuxième crime le plus grave contre l’Humanité (le génocide étant le premier). Le crime international d’apartheid est défini dans l’article II de la Convention internationale de 1973 sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid qui énonce ce qui suit : « L’expression « crime d’apartheid », qui englobe les politiques et pratiques semblable de ségrégation et de discriminations raciales, telles qu’elles sont pratiqués en Afrique australe, désigne les actes inhumains indiqués ci-après, commis en vue d’instituer ou d’entretenir la domination d’un groupe racial d’êtres humains sur n’importe quel autre groupe racial d’êtres humains et d’opprimer systématiquement celui-ci ». Il est également repris à l’article 7 du Statut de Rome établissant le cadre légal de la Cour pénale internationale qui indique ce qui suit : « Par « crime d’apartheid », on entend des actes inhumains …commis dans le cadre d’un régime institutionnalisé d’oppression systématique et de domination d’un groupe racial sur tout autre groupe ou tous autres groupes raciaux et dans l’intention de maintenir ce régime.

Tract de BDS à l'occasion de la "Semaine Internationale contre l'apartheid israélien"

Le véritable message de BDS sur l'apartheid n'est pas celui que l'on croit

En d’autres termes, pour le collectif palestinien et ses soutiens occidentaux, le fait pour les Juifs d’avoir un Etat au sein duquel ils seraient majoritaires et où ils auraient un droit exclusif au retour est constitutif d’un crime aussi grave que le crime nazi.

Tel est plus que probablement le message subliminal que BDS entend faire passer à la communauté internationale lorsqu’il accole le terme « apartheid » à celui de l’État d’Israël. L'utilisation de ce qualificatif n'a donc en réalité strictement rien à voir avec la lutte contre la ségrégation raciale en Afrique du Sud.


[1] Herman De Ley :” Le boycott d’Israël
(BDS), un devoir moral”, BACBI-Dossier N° 3, 2017.

[2] Voir notamment à ce sujet la Charte de l’association américaine US Campaign for Palestinian Rights (USCPR), un des partenaires américaines de B.D.S., qui stipule ce qui suit : « We stand against Zionism as a political system that privileges the rights of Jews over the rights of others ».

BDS est-il antisémite?

BDS se présente comme un mouvement authentiquement et radicalement antisioniste : l’idée même d’un Etat-Nation où les Juifs du monde entier disposeraient d’un droit au retour et où le régime politique assurerait à la population juive d’être majoritaire, doit être abandonnée par les Israéliens car il induit de facto la négation des droits humains des Palestiniens et empêche leur autodétermination.

« Nous rejetons le sionisme en ce qu’il constitue le pilier idéologique raciste et discriminatoire du régime d’Israël d’occupation, de colonialisme de peuplement et d’apartheid, qui prive le peuple palestinien de ses droits fondamentaux depuis 1948 » (1).

Les opposants au collectif palestinien considèrent cet antisionisme comme la simple face cachée de l’antisémitisme. BDS revendique son antisionisme radical mais réfute en revanche toute idée antisémite. Il s’insurge d’un chantage honteux d’antisémitisme et dispose même d’un argumentaire militant pour le combattre.

« Le mouvement BDS se réclame de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Il est non sectaire et rejette toutes les formes de racisme, y compris l’islamophobie, l’antisémitisme et les dizaines de lois israéliennes racistes (…). Le mouvement B.D.S. n’a jamais visé les Juifs ou les Israéliens en tant que Juifs (…) » (2)

Afin de déterminer si l’antisionisme radical de BDS est de l’antisémitisme, il est nécessaire de remonter aux origines de l’antisionisme tel qu’il est développé par chacune des trois couches qui structurent le mouvement BDS (3).

Antisionisme de type nationaliste

La couche supérieure du mouvement est composée des 172 organisations palestiniennes signataires de l’appel au boycott en 2005. La source de son antisionisme est relativement simple à comprendre. La branche palestinienne de BDS cherche à fonder un Etat-nation sur l’ensemble du territoire de la Palestine. La présence d’une majorité juive sur toute ou partie de ce territoire l’en empêche. Son antisionisme radical puise donc naturellement sa source dans le conflit qui oppose depuis plus d’un siècle le mouvement national palestinien au mouvement national juif. Il s’agit d’un antisionisme de type nationaliste. L’antisémitisme peut être un de ses dérivés (par ex. la place que doivent occuper les dhimmis en terre d’Islam) mais n’en est pas le moteur.

Antisionisme de type idéologique

La couche intermédiaire du mouvement est composée majoritairement d’organisations altermondialistes (« tiers-mondistes » dirait un observateur de droite), fer de lance de BDS à l’étranger. La source de son antisionisme ne se trouve pas dans le conflit israélo-palestinien lui-même mais dans sa vision contestataire des démocraties libérales en tant que régime politique. Israël, en tant que suppôt du capitalisme et de l’impérialisme américain doit être combattu. Il s’agit d’un antisionisme de type idéologique. Le sionisme, rattaché au système mondial de l’impérialisme, est ainsi amalgamé à des thématiques comme l’avenir de la mondialisation, les dangers écologiques, la pauvreté croissante du Tiers-Monde. L’antisémitisme peut être un de ses dérivés (par ex. le lien que les marxistes établissent entre les Juifs et l’argent) mais n’en constitue pas non plus le moteur.

Antisionisme de type sociologique

La couche inférieure est composée des supporters de BDS. Leur antisionisme trouve sa source non pas dans le conflit israélo-palestinien mais dans leurs rapports conflictuels aux Juifs à l’intérieur même des sociétés occidentales. Il s’agit d’un antisionisme de type sociologique. Cette hostilité aux Juifs a diverses origines : antisémitisme religieux, chrétien ou musulman, antisémitisme d’essence révolutionnaire, antisémitisme d’ignorance, etc. L’antisémitisme constitue bel et bien, à ce niveau, le moteur de l’antisionisme.

La responsabilité de la gauche altermondialiste

Là où le modèle commence à déraper, c’est lorsque la gauche altermondialiste qui sert de courroie de transmission entre le sommet et la base du mouvement fait le choix tactique d’instrumentaliser le conflit israélo-palestinien pour des raisons idéologiques. En réduisant le conflit à un simple scénario binaire opposant un oppresseur à un opprimé, en amalgamant le « système » (gouvernement, médias, justice, etc.) avec les Juifs, les Israéliens, le sionisme, l’antisémitisme ou la Shoa, en diffusant l’idée générale d’un complot ourdi par la finance internationale juive, en ayant des propos belliqueux à l’encontre d’Israël (décrit comme un Etat voyou, criminel, tueur d’enfants, etc.), la petite élite révolutionnaire qui se trouve à l’échelon
intermédiaire du mouvement BDS entend, conformément à la doctrine marxiste-léniniste, exciter les masses pour qu’elles se révoltent.

Et au plus la démocratie libérale produit des mécontents, au plus le discours radical de BDS fait écho et progresse au niveau de la base, ce qui augmente mécaniquement l’antisémitisme puisque les Juifs sont alors considérés comme faisant partie intrinsèque du problème. Leur élimination - physique ou symbolique - fait donc de facto partie de la solution.

« La gauche, sociale-démocrate ou pas, extrême ou pas, pense peut-être que se servir de l’antisémitisme afin de galvaniser les masses populaires est un prix acceptable pour que triomphe le socialisme. Cette dérive de type staliniste semble toujours d’actualité pour cette mouvance pseudo-humaniste qui se cherche, mais qui ne se trouvant pas finit par lâcher les Juifs comme on lâche du lest d’un ballon en perdition pour retarder le moment où il va s’écraser. » (4)

La gauche altermondialise affirme inscrire ses actions dans les luttes antiracistes et dans les valeurs universelles des Droits de l’Homme. Par son instrumentalisation du conflit au Proche-Orient, elle a pourtant réussi en très peu de temps à faire de BDS non pas le chantre de la lutte pour l’autodétermination du peuple palestinien mais la caisse de résonance de tous les individus qui entendent exprimer un rapport conflictuel envers les Juifs au sein des démocraties occidentales. En cela, oui, BDS est bel et bien antisémite. (5)


(1) Déclaration du Comité national palestinien du BDS (BNC) réitérant la position du mouvement BDS contre toutes les formes de racisme et de discrimination raciale.

(2) Omar Barghouti : « La campagne BDS vise à forcer Israël à se conformer au droit », L’Humanité, 16/01/2016.

(3) Henri Simon : "Comment BDS est-il structuré", Les Cahiers du CERSP, n° 7, 2019

(4) Daniel Horowitz : " Socialisme et antisémitisme ", Médiapart, 2016.

(5) "German Parliament declares Israel boycott campaign antisemitic", The Guardian, May 2019.

le paradigme du conflit

BDS et le paradigme du conflit israélo-palestinien

La soudaine éclosion du collectif palestinien BDS sur le devant de la scène au cours de l'année 2005 s'inscrit dans un contexte politico-historique bien déterminé et n'est pas le fruit du hasard.

Période 1897-1991 : premier paradigme

Au cours de cette période, qui va du premier Congrès sioniste de 1897 à l'ouverture de la Conférence de Madrid en 1991, les deux mouvements nationaux, juif et palestinien, vont se développer à partir du paradigme selon lequel une seule partie au conflit est légitimement en droit de revendiquer son autodétermination sur le territoire disputé, l’autre ne l’est pas et doit donc disparaître.

Autrement dit, le nationalisme de chaque camp se développe pendant cette période en pratiquant la négation de l’autre. Le mode de gestion de conflit adopté par les deux camps est l’épreuve de force.

a) Côté Israélien

Le nationalisme juif trouve sa légitimation idéologique dans le sionisme. Les « grands mythes fondateurs de l’Etat hébreu » - qui seront revisités et déconstruits par les nouveaux historiens israéliens dans les années ’80 - lui servent de socle : « un peuple sans terre pour une terre sans peuple », l'idée fortement ancrée d'un départ « volontaire » de tous les habitants palestiniens de leurs villages en 1948, la théorie religieuse du « Grand Israël » (la terre biblique ancestrale), etc.

Cette lecture idéologique permet de considérer la nation juive comme étant la seule disposant du droit ancestral et inaliénable à la création d’un état souverain sur le territoire historique de la Palestine. Le droit à l’autodétermination des Palestiniens est quant à lui nié. La Jordanie doit être considérée, s’il échet, comme le territoire du futur Etat des Palestiniens.

b) Côté Palestinien

Le mouvement national palestinien va se structurer dans les années 60 autour de l’Organisation de Libération de la Palestine (O.L.P.) dont le leader est Yasser Arafat. Dans le contexte de la guerre froide, cette faction palestinienne va faire le choix stratégique de cadrer sa cause nationaliste avec l'idéologie marxiste-léniniste et le mouvement de décolonisation.

Cette lecture idéologique où seule compte la victoire de l'opprimé sur l'oppresseur permet de considérer la nation palestinienne comme étant la seule disposant du droit ancestral et inaliénable à la création d'un état souverain sur le territoire historique de la Palestine. Le sionisme est vu comme une entreprise coloniale criminelle et le droit à l’autodétermination du peuple juif est nié. Selon la Charte Palestinienne, tous les Juifs à l’exception de ceux qui étaient présents avant la Déclaration Balfour de 1917 devront être expulsés.

Période 1991-2000 : second paradigme

Au cours de cette période, qui va de la Conférence de Madrid de 1991 à la deuxième Intifada début 2000, le paradigme du conflit se modifie. La célèbre poignée de mains entre Arafat et Rabin dans les jardins de la Maison-Blanche et les accords d’Oslo de 1993 marquent symboliquement ce changement. Chaque adversaire voit sa légitimité être reconnue par l’autre camp.

Rabin et Arafat

La reconnaissance mutuelle étant actée, un mode de gestion du conflit par la négociation entre les deux protagonistes se met en place devant parvenir à la résolution politique du conflit par la création de « deux Etats pour deux peuples » vivant côte-à-côte dans des frontières sures et reconnues.

La négociation est un procédé destiné à rendre compatibles des prétentions initiales incompatibles sur des questions comme la division du territoire, le statut de Jérusalem, le sort des réfugiés, etc. Il faut donc, au cours de la négociation, que se modifient les attitudes initiales des protagonistes. L’exemple des réfugiés palestiniens permet de l'illustrer. Le mouvement palestinien historique revendique le retour des réfugiés sans conditions ce qui est inacceptable pour la partie israélienne. Diverses propositions sont alors mises sur la table des négociations en vue de trouver une solution équilibrée à défaut d'être équitable.

Période 2000-Aujourd’hui : retour au premier paradigme

Les négociations de paix devant aboutir à la création de « deux Etats pour deux peuples » se sont totalement embourbées depuis le début des années 2000. Chaque adversaire impute l’échec de la négociation sur l’autre. C’est la fin annoncée du second paradigme et la résurrection du premier que les pacifistes des deux camps pensaient pourtant avoir définitivement enterré.

a) Côté Israélien

Le « camp de la paix » n’a pas réussi à trouver un accord de paix avec les Palestiniens. Poussée par une droitisation extrême de sa classe politique et de sa population, l’idée d’une solution politique à un seul Etat israélien englobant l’ensemble de la Palestine historique, y compris les territoires occupés après 1967, refait à nouveau surface.

Le nouveau "plan de paix" américain qui sera dévoilé bientôt s'inscrit dans ce contexte.

Au point que l’idéal sioniste d’un « Etat juif et démocratique » voulu par les pères fondateurs et inscrit dans la Déclaration de l’Indépendance est remis en question. Si le projet de « Grand Israël » devait aboutir, les Israéliens auraient alors à choisir entre soit préserver le caractère majoritairement juif de l’Etat au détriment de son caractère  démocratique, avec l’instauration d’un véritable régime politique d’apartheid comprenant des citoyens israéliens et des sous-citoyens palestiniens, soit de préserver le caractère démocratique de l’Etat, une personne = une voix, avec pour corolaire la disparition, à terme, du caractère majoritairement juif de l’Etat par un basculement de la démographie en faveur des Palestiniens.

b) Côté Palestinien

L’Autorité Palestinienne, totalement corrompue, n’a pas réussi à trouver un accord de paix avec les Israéliens et est donc discréditée par une grande partie de la population palestinienne.

Le leadership de l’Autorité Palestinienne, seul représentant légal et officiel du mouvement palestinien, est remis en question. Aucune élection présidentielle n’a été tenue depuis 10 ans en Cisjordanie de peur de voir le pouvoir passer aux mains du Hamas.  Le leader historique incontestable et incontesté, Yasser Arafat, est décédé depuis un certain temps et a laissé place à Mahmoud Abbas, second couteau sans charisme. L’organisation discréditée par des années de négociation sans succès est en outre corrompue. L'idée d'un retour au premier paradigme refait ainsi surface.

L'éclosion de BDS, mouvement ultra-nationaliste de refus

C'est dans cette séquence historico-politique que le mouvement BDS prend son essor.

BDS trouve sa place au cours d’une séquence politique, de 2001 à ce jour, marquée par le retour, dans les deux camps, du paradigme qui prévalait avant le lancement du processus de paix d'Oslo. Dit autrement, son éclosion se situe très précisément dans un contexte où les deux camps sont en train d’acter la fin de la solution à deux Etats et son remplacement par la solution à un seul Etat qui prévalait de chaque côté avant le début du « processus de paix ». L’heure n’est plus à la gestion du conflit par la négociation devant aboutir à la création de « deux Etats indépendants vivant côte-à-côte dans des frontières sûres et reconnues », mais est à l’épreuve de force, la capitulation de l’adversaire, devant aboutir à un seul et unique Etat sur l’ensemble du territoire de la Palestine historique.

La position ultra-nationaliste de refus de BDS n'est donc pas neuve puisqu'elle fait écho à celle du mouvement national palestinien historique. Le PNIF, le membre dominant au sein du BNC et dont le leader Marwan Barghouti est emprisonné en Israël depuis la deuxième Intifada, entend simplement déclasser l’Autorité Palestinienne et prendre le leadership du mouvement national palestinien au départ du premier paradigme qui envisage la paix non pas avec Israël mais SANS Israël.

Retour à la case départ.

Que veut dire « colonisation » pour BDS

Le droit international considère les colonies israéliennes implantées à l’intérieur des territoires palestiniens occupés par Israël depuis la guerre des Six Jours de 1967 comme illégales. Le processus de paix entamé à Oslo devait en principe aboutir à restituer ces territoires palestiniens à l’Autorité Palestinienne et régler le sort de la plupart des colonies. On sait ce qu’il en est advenu.

C’est exactement au moment où les deux « partenaires pour la paix » fermaient la porte à la paix qu’un nouveau collectif palestinien a émergé sur le devant de la scène. BDS qui prétend parler au nom de la société civile palestinienne a lancé en 2005 un appel à la communauté internationale pour boycotter intégralement Israël jusqu’à ce que ce dernier honore ses
obligations de respecter les droits humains des Palestiniens et le droit international
.

A partir de quand débute l'occupation et la colonisation?

Le seul problème est que BDS qui prétend inscrire son combat dans le cadre du droit international situe la colonisation judéo-israélienne des territoires palestiniens non pas depuis 1967 mais depuis la Déclaration Balfour de 1917. Le collectif palestinien rappelle ainsi que la déclaration Balfour a « soutenu et enraciné la colonisation de
la Palestine. Elle a jeté les bases de la Nakba de 1948, du nettoyage ethnique de la majorité du peuple autochtone de la Palestine par le bras des milices sionistes relayées par les forces israéliennes pour établir une majorité juive
en Palestine. Du point de vue de ses victimes palestiniennes, cette funeste déclaration du gouvernement britannique,
publiée dans une arrogance typiquement coloniale et profondément ancrée dans le racisme à l’égard des populations non-européennes, a constitué une déclaration de guerre contre notre peuple. Elle a facilité et tenté de légitimer l’établissement d’un « foyer national » juif en Palestine, dépouillant les Palestiniens de leurs droits nationaux et politiques et donnant naissance, finalement, à un État colonial de peuplement et d’apartheid israélien qui privilégie les droits de colons juifs majoritairement européens sur les droits de la majorité palestinienne indigène »
[1].

La référence historique de BDS n’est donc pas la colonisation israélienne apparue en Cisjordanie après la guerre des Six jours (1967) mais la colonisation juive de la Palestine depuis la Déclaration Balfour (1917) comme cela est représenté par sa carte géographique officielle.

la carte officielle de la Palestine pour BDS

Les effets induits de ce recadrage historique 

Le « recadrage » historique de la colonisation judéo-israélienne permet d’expliquer le positionnement particulier du collectif palestinien sur Israël et le sionisme. BDS décrit dans toute sa communication l’Etat d’Israël comme un Etat colonial c’est-à-dire comme une création fictive des puissances occidentales qui auraient importés « leurs » juifs (principalement européens et américains) dans la région pour y maintenir leur domination économique, culturelle et politique. BDS ne considère donc pas le sionisme comme un mouvement de libération nationale du peuple juif mais le décrit comme une entreprise coloniale criminelle. En résumé, pour BDS la présence juive sur une partie du territoire de la Palestine historique n’est pas légitime.

BDS est-il un partenaire de la Paix?

On comprend maintenant nettement mieux ce que veut dire BDS lorsqu’il revendique dans sa charte « la fin de tous les territoires arabes occupés ».  La fin de l’occupation et de la colonisation de l’ensemble des territoires arabes réclamée par BDS va à l’encontre de la position officielle de l’Autorité Palestinienne, seul représentant légitime du peuple palestinien, puisqu’elle ne vise pas uniquement des territoires palestiniens occupées par Israël depuis 1967 (Cisjordanie et bande de Gaza qui peut également comprendre un échange mineur de territoire comparable et mutuellement accepté dans le cadre d’un accord de paix) mais comprend l’ensemble des territoires arabes actuellement contrôlés par les sionistes, y compris le plateau du Golan (territoire revendiqué par la Syrie), Haïfa et Tel-Aviv, c’est-à-dire l’entièreté du territoire actuellement sous contrôle ou sous souveraineté israélienne.

Avec une revendication comme celle-là, le collectif palestinien se place clairement en dehors du cadre du droit international alors qu’il affirme le contraire. Il est d’ailleurs peu probable qu’il puisse convaincre une majorité d’Israéliens qu’il est un partenaire de la Paix, ce qui devrait réjouir Netanyahou et les partis politiques au pouvoir aujourd’hui en Israël. Au détriment du peuple palestinien que BDS prétend pourtant représenter.


[1] Communiqué
du B.N.C. du 02/11/2017

BDS soutient-il le processus de paix d’Oslo?

BDS se présente au public comme un mouvement pacifiste qui rechercherait une paix juste dans la région. Ce message est relayé par ses supporters notamment en France (1).

Le collectif palestinien est pourtant diamétralement opposé au « processus de paix » d’Oslo et à la solution politique du partage de la Palestine en « deux Etats vivant côte-à-côte dans des frontières sûres et reconnues« .

Le rejet du processus de paix

BDS rejette les accords d’Oslo et le processus de paix. Il se définit comme le représentant des trois composantes majeures de la société civile palestinienne : les Palestiniens vivant dans les territoires occupées depuis 1967, les réfugiés vivant en exil et les Palestiniens vivant sur le territoire israélien. Ces deux dernières composantes, 62% au total, seraient les grandes oubliées du processus de paix d’Oslo qui ne visait que les Palestiniens situés dans les Territoires occupés depuis 1967.

« Les accords d’Oslo ont privé les Palestiniens de la région de 1948 de leurs droits de représentation, ce qui a provoqué une sérieuse rupture. Au contraire, le mouvement BDS insiste sur le droit de tous les Palestiniens d’exercer l’autodétermination en tant que peuple unifié et, en tant que tel, insiste sur les droits de tous les Palestiniens, y compris les Palestiniens de 1948 ».

Source: « Omar Barghouti, l’homme à la base du mouvement BDS » publiée en juin 2015 sur le site internet de BDS France

Le rejet de la solution à deux Etats

BDS rejette la solution politique à deux Etats. Il se présente comme un mouvement radicalement antisioniste et estime la présence juive sur une partie du territoire de la Palestine historique comme totalement illégitime. Il lutte pour la « désionisation » d’Israël c’est-à-dire la fin du régime politique permettant aux Israéliens de confession juive d’être majoritaires et la fin du droit pour les Juifs du monde entier de venir s’y installer.

« Nous avons, malheureusement, perdu beaucoup de ce qui a fait le mouvement palestinien de libération nationale, pour une grande part à cause des accords d’Oslo. La direction palestinienne, avec l’approbation explicite ou implicite de la plupart des partis politiques palestiniens, a cédé les droits palestiniens fondamentaux et s’est soumise aux ordres des États-Unis et de l’Union européenne de s’adapter au maximum au régime d’oppression coloniale d’Israël »


Interview d’Omar Barghouti : « BDS: Discuter des questions difficiles dans un mouvement en plein essor », Al-Shabaka, 16/06/2016 ; voir également Interview d’Omar Barghouti publiée par l’AURDIP, 11/07/2015 : «  BDS a joué un rôle déterminant dans le changement de discours sur la question de la Palestine après plus de deux décennies d’un « processus de paix » frauduleux qui a sapé les droits des Palestiniens et a servi de feuille de vigne pour l’expansion et l’enracinement du régime israélien d’occupation, de colonisation de peuplement et d’apartheid.

Une solution à un seul Etat

BDS estime ainsi que la solution pour obtenir la paix dans la région n’est pas politique car tout dialogue avec Israël en vue du partage du territoire spolierait les droits des Palestiniens et empêcherait leur autodétermination. Selon le collectif palestinien la paix dans la région ne pourra s’établir qu’après la reddition totale des Israéliens. Raison pour laquelle il demande à la communauté internationale de bannir Israël des Nations.

Le collectif palestinien inscrit ainsi son action totalement en dehors du cadre fixé par le processus de paix. La paix passe par la création d’un seul et unique Etat sur l’ensemble du territoire de la Palestine historique avec une majorité arabo-palestinienne et le cas échéant, une minorité judéo-palestinienne. (2)

BDS n’est cependant pas très disert sur les contours futurs de cet Etat. Selon la formule consacrée de son porte-parole Omar Barghouti, « la forme étatique que les peuples de la région établiront dépendra de leur volonté et de l’évolution de leurs relations« .


(1) Tribune: « Boycotter Israël, c’est lutter pour une paix juste », Le Monde, novembre 2010

(2) Interview d’Omar Barghouti : « Face à Israël, la France est hypocrite », Le Monde, juin 2015.

BDS est-il novateur?

BDS se présente comme novateur

BDS situe son éclosion en 2005, soit « un an après l’avis consultatif de la Cour Internationale de Justice qui a jugé illégal le mur qu’Israël construit sur le territoire palestinien occupé ». Partant du constat que toutes les formes de processus de paix ont échoué par la faute exclusivement imputable à l’Etat d’Israël, il propose aux Palestiniens de quitter la table des négociations et d’appliquer une nouvelle méthode pour arriver à la paix.

La stratégie novatrice proposée par BDS consisterait non plus à négocier un traité de Paix sous les auspices de la communauté internationale mais à demander à cette dernière de boycotter intégralement Israël « jusqu’à ce que ce qu’il plie et honore ses obligations de reconnaître le droit inaliénable du peuple palestinien à l’autodétermination et se conforme au droit international ».

BDS inscrit cependant son idéologie, ses objectifs politiques et ses moyens d’actions dans un cadre historico-politique beaucoup plus ancien qu’il ne le prétend.

Les revendications politiques

BDS revendique la fin de la colonisation et de l’occupation de tous les territoires arabes, le retour sans conditions de tous les réfugiés palestiniens et l’égalité des droits. Ces trois revendications contiennent la négation du fait national juif et aboutissent au final au rejet de toute solution de remplacement à la libération intégrale de la Palestine.

Cet objectif politique n’est pas nouveau. La Charte palestinienne, avant qu’elle ne soit rendue caduque par Yasser Arafat, exprimait exactement les mêmes revendications : unicité du territoire et retour sans conditions de tous les réfugiés palestiniens à l’intérieur du nouvel Etat. La déclaration Balfour, le mandat sur la Palestine et tout ce qui en découle étaient ainsi également réputés nuls et non avenus. La seule différence concerne le sort des Juifs dans le nouvel Etat. Pour l’OLP, tous les Juifs devaient être expulsés du territoire. Pour BDS leur sort n’est pas encore tranché et dépendra, selon Omar Bargouthi, de la volonté des peuples !!

Le cadre idéologique

BDS inscrit sa lutte nationaliste dans le cadre plus global de la lutte altermondialiste. Le collectif palestinien revendique ainsi une filiation directe avec forum mondial des ONG organisé à Durban en 2001 en marge de la Conférence Mondiale contre le Racisme, la Discrimination, la Xénophobie et l’Intolérance – WCAR et dont le slogan était très justement : « UNITED TO COMBAT RACISM : EQUALITY, JUSTICE AND DIGNITY »[1].

Ce positionnement idéologique n’est pas nouveau. L’O.L.P. inscrivaient elle aussi le combat national palestinien, du temps de la guerre froide, dans le cadre de la lutte anticoloniale, antiimpérialiste et antiaméricaine.

La référence sud-africaine

BDS assimile sa lutte avec celle contre la ségrégation raciale en Afrique du Sud. Cette référence historique n’est pas l’apanage du seul BDS mais demeure une constante au sein du mouvement national palestinien. Ainsi le « tribunal » extra-judiciaire spécialement constitué sur la Palestine (le fameux « tribunal Russel » dont la 3ème session en 2011 s’est également tenue symboliquement en Afrique du Sud) condamne depuis des années les crimes d’apartheid commis par Israël à l’encontre du peuple palestinien. L’intifada est régulièrement comparée aux émeutes de Soweto. Les « bantoustans » (qui rappellent encore une fois l’Afrique du Sud raciale) sont évoqués pour justifier, à tort ou à raison, le rejet des différents plans de paix internationaux (notamment le Plan Clinton).

Les moyens d’actions

BDS entend arriver à ses fins par une nouvelle arme que constituerait le boycott intégral d’Israël par la communauté internationale. L’arme du boycott était pourtant déjà utilisée par l’ensemble des pays arabes à l’encontre de l’Etat d’Israël entre 1948 et 1989. Les entreprises occidentales devaient à l’époque choisir entre avoir accès au marché économique israélien (Coca-Cola, Subaru) ou aux marchés économiques arabo-musulmans (Pepsi, Toyota). Le boycott n’était pas qu’économique mais également politique (refus de reconnaître l’existence de l’Etat d’Israël), sportif (refus de rencontrer un adversaire sportif israélien), etc. Le Comité central BNC a d’ailleurs fait, lors de sa première conférence tenue à Ramallah en 2007, de la réactivation du boycott de la Ligue Arabe un axe essentiel de sa stratégie.

BDS dans la lignée du mouvement national palestinien historique

BDS se présente comme novateur mais ne l’est pas autant qu’il ne le prétend. Il a en réalité une filiation directe avec le mouvement national palestinien historique, et singulièrement l’O.L.P., tel qu’il existait avant le début du processus de paix et ce, tant au niveau de son idéologie dominante (lutte anticoloniale) que de son analyse du conflit (une seule partie est légitime, l’autre ne l’est pas et doit disparaître) et, partant, de la solution politique pour y mettre un terme (la disparition de l’Etat d’Israël et son remplacement par un Etat Palestinien sur l’ensemble du territoire avec une majorité arabo-palestinienne et, le cas échéant, une minorité judéo-palestinienne).


[1] Voir point 61 de la déclaration finale signée par les 1.500 ONG.

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Cas d’étude: la campagne de boycott contre SodaStream

La campagne transnationale de boycott de l’entreprise SodaStream lancée en 2014 par le comité central BNC et relayée par ses partenaires en France permet d'illustrer la structure organisationnelle de BDS (1), les deux thèmes qui tournent en boucle ainsi que le message qu’il entend faire passer à l’opinion publique occidentale (2) de même que ses objectifs politiques (3).

La structure organisationnelle

La campagne contre SodaStream permet tout d'abord d'illustrer le rôle de des acteurs et la place qu'ils occupent à l'intérieur du mouvement de même que le mode opératoire utilisé pour toutes les campagnes de boycott.

Le rôle du BNC

Le PACBI, membre du BNC et co-fondateur de BDS, est l’initiateur de la campagne transnationale de boycott contre SodaStream. Il est au sommet de la pyramide et définit à ce titre la cible, la stratégie d'attaque.Les messages de cette campagne ont évolué au gré de l’évolution sur le terrain (déplacement de l’usine de Cisjordanie vers le territoire israélien puis rachat par la multinationale PepsiCo) et sont repris dans les communiqués du BNC publiés par le mouvement pour justifier son appel au boycott :

  • Lors du lancement de la campagne, le premier communiqué demande de boycotter l’entreprise israélienne SodaStream en raison du fait que son usine est implantée dans une colonie située en Cisjordanie occupée et exploite des travailleurs palestiniens victimes de nombreuses discriminations par rapport aux Juifs qui y travaillent.

  • Après la relocalisation de l’usine en territoire israélien, BDS envoie un deuxième message aux consommateurs occidentaux et leur demande de continuer à boycotter la société SodaStream pour deux raisons : le désert du Néguev dans lequel est implantée la nouvelle usine est originellement un ancien territoire arabe (désert du Naqab). Le désert du Néguev est donc considéré par BDS, contrairement au droit international, comme un territoire palestinien illégalement occupé. Par ailleurs, les Israéliens exproprient et exploitent maintenant non plus les Palestiniens mais les bédouins considérés eux-aussi comme des sous-hommes qui seraient en outre les victimes d’un plan machiavélique ourdi des Israéliens.

  • Après le rachat de l’usine par la multinationale américaine PepsiCo, BDS envoie un troisième message et demande de continuer à boycotter la société SodaStream car même si elle ne bât plus pavillon israélien, elle profite toujours à l’économie israélienne.

« SodaStream est toujours soumis au boycott par le mouvement mondial du BDS conduit par les Palestiniens pour les droits des Palestiniens. Sa nouvelle usine est activement complice de la politique d’Israël pour le déplacement des citoyens bédouins palestiniens d’Israël, dans le Néguev. Les mauvais traitements par SodaStream et sa discrimination à l’encontre des travailleurs palestiniens ne sont pas non plus oubliés (…). L’usine SodaStream a été montée dans l’une des plus importantes colonies de peuplement israéliennes, qui sont illégales, sur une terre volée aux Palestiniens et sur les ruines de sept villages palestiniens dont les habitants ont été chassés par la force pour laisser la place à une ville réservée aux seuls juifs, ceci en violation du droit international et d’une politique soutenue par les USA de plusieurs décennies. »

Communiqué du BNC: "SodaStream est toujours soumis au boycott", août 2o18.

Le rôle des principaux partenaires français

Les quatre partenaires français (BDS France, UJFP, AURDIP et AFPS) du comité central BNC occupent l'échelon intermédiaire de l'organisation. Ils ont pour mission de relayer la campagne de boycott de SodaStream en France, d’en diffuser les messages et d’encadrer les actions locales pour les cadrer avec les objectifs définis par le BNC. Ils traduisent en français les communiqués du BNC, délivrent les kits d’actions clefs en mains (tracts, modèle de lettre, affiches, etc.), communiquent sur les réseaux sociaux le compte-rendu des actions militantes et font remonter les victoires nationales vers le BNC qui en publie le résultat.

Rôle des militants et supporters locaux

Les militants et supporters locaux situés à la base de la pyramide sont chargés d’animer les actions locales qui se matérialisent sur le terrain de la manière suivante :

  • Organisation de journées d’actions nationales contre SodaStream : rassemblement de militants devant ou à l’intérieur de grands magasins (Darty, Auchan, Carrefour, Fnac) pour dénoncer la commercialisation de produits de la marque SodaStream.

  • Campagne pour mettre fin au partenariat du Festival d’Angoulême avec SodaStream: envoi de deux lettres ouvertes au directeur du Festival d’Angoulême pour mettre fin au partenariat avec SodaStream.

  • Pétition envoyée à l’entreprise Cordon Bleu pour mettre fin à son partenariat avec SodaStream

  • Campagne pour mettre fin au partenariat entre France Télévision et SodaStream : publication d’une tribune dans Libération, actions de militants BDS dans diverse villes de France (Paris, Toulouse, Lyon, etc.) devant les locaux de France Télévision scandant des slogans tels [1] : « Israël assassin, France 3 complice » et pour dénoncer le sponsoring par SodaStream de l’émission « questions pour un champion ».

  • Action de militants BDS dans un magasin Carrefour de Montreuil pour demander le retrait des rayons du magasin. Extrait du compte-rendu : « Après avoir rempli un caddie de produits SodaStream, nous avons dénoncé la colonisation et l’apartheid pratiqués par le régime israélien depuis 1948 contre le peuple palestinien »

BDS qui se présente comme un mouvement totalement décentralisé encourage en théorie toutes les initiatives citoyennes spontanées. Les campagnes de boycott permettent de mettre en perspective la structure et l’organisation pyramidale du mouvement. Dans la pratique, les campagnes de boycott ne sont pas aussi spontanées que BDS ne le prétend.

Le message de BDS

Les actions militantes sur le terrain (tracts, communiqués de presse, compte rendu des actions, etc.) contre l'entreprise SodaStream décrivent systématiquement Israël comme un Etat voyou, colonial, d'apartheid, criminel, tueur d'enfants, etc. Elles illustrent les deux thèmes que le comité BNC fait tourner en boucle dans toutes les campagnes ainsi que le message-clef qu'il martèle à la communauté internationale : Israël doit être vu comme Etat colonial et d’apartheid. Il s’agit d’un Etat illégitime et doit, pour cette raison, être abandonné par la communauté internationale.

Les objectifs politiques de BDS

La campagne de boycott de l’entreprise SodaStream illustre, enfin, la position politique de BDS puisque l’usine originellement implantée dans la colonie Mishor Adunim en Cisjordanie occupée a, depuis, été relocalisée à l’intérieur des frontières de l’Etat d’Israël dans le désert du Néguev et a même été rachetée par la multinationale américaine PepsiCo. Autrement dit, cette société est aujourd'hui passée sous pavillon américain et son usine est située sur le territoire israélien mais reste néanmoins pour BDS l’objet d’une campagne de boycott.

Les campagnes de boycott révèlent ainsi les objectifs du collectif palestinien tels qu’ils ont été  formulés dans sa Charte. A l’inverse de la positon adoptée par la communauté internationale, la résolution du conflit israélo-palestinien passe non pas par la création de deux Etats vivant côte-à-côte dans des frontières sûres et reconnues mais par la création d’un seul Etat au sein duquel la population de confession musulmane serait majoritaire et aurait seule le droit au retour. C’est donc la paix non pas avec Israël mais sans Israël. Les Juifs du monde entier se verraient interdire le droit de venir s’installer dans le nouvel Etat. Quant à la population de confession juive actuellement sur place, environ 7.000.000 de personnes, son sort n’est pas encore réglé.


(1) CERSP: "L'organisation pyramidale de BDS"

(2) CERSP: "Le message véhiculé par BDS dans toutes ses campagnes"

(3) CERSP: "Quelles sont les revendications de BDS?"

La campagne de boycott en France

Les cahiers du CERSP publient une cartographie des actions militants de B.D.S. en France.

En France, la question du boycott de l’Etat d’Israël a investi en quelques années non seulement le champ politique (les circulaires Alliot-Marie et Mercier[1]), judiciaire (arrêt de la cour de cassation du 20 octobre 2015[2], tribunaux condamnant ou relaxant des militants pro-B.D.S.) mais également culturel (boycott de chanteurs, annulation de festivals) ou encore économique (désinvestissement de certaines entreprises françaises comme Véolia
et Orange), etc. Pour ses supporters français, le mouvement est en ordre de bataille : « Du Canada, à l'Australie en passant par l'Afrique du Sud, les Etats-Unis, l'Amérique latine et l'Europe, c'est un mouvement international, non-violent et populaire qui se développe. Syndicats, ONG, associations, Eglises, universités, municipalités, personnalités de renommée mondiale et simples citoyens se retrouvent pour défendre un même objectif : l'application du droit »[3].


[1] CRIM – AP
N°09-900-A4 du 12 février 2010
. Cette circulaire a été complétée en 2012 (CRIM-AP N° 2012-0034-A4).

[2] J-B. Jacquin : « L’appel
à boycotter Israël déclaré illégal 
», Le Monde, novembre 2015. Dans cet arrêt, la cour a confirmé la condamnation par la cour d’appel de Colmar de 14 militants de B.D.S. à € 28.000 de dommages et intérêts aux parties civiles, ainsi qu’à une amende de € 1.000 avec sursis pour chacun des militants. Il leur était reproché d’avoir participé à une manifestation dans un supermarché appelant au boycott des produits en provenance d’Israël. Pour la plus haute juridiction française, le délit de « provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance à une ethnie, une nation, une race, ou une religion déterminée » est bien constitué.

[3] Tribune publiée dans le monde : « Boycotter Israël, c’est lutter pour une paix juste », novembre 2010 en soutien à l’appel
palestinien « Boycott, Désinvestissement, Sanctions » de 2005 et signée en autre par Olivier Besancenot et Clémentine Autain. Voir également : A. Remion, « Le boycott économique, politique ou culturel d’Israël, une tendance en expansion », Le Huffington Post, août 2014.

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Les sympathisants de BDS

La branche internationale de BDS se compose de deux catégories d'acteurs: les principaux partenaires étrangers du BNC d'une part et les aficionados du collectif palestinien qui occupent le terrain de l'autre. Si les premiers nommés sont majoritairement des mouvements progressistes et altermondialistes classés traditionnellement à gauche de l’échiquier politique, il n’en va pas de même des sympathisants de BDS qui se situent d’un bout à l’autre du spectre politique.

Le point commun entre les sympathisants

Qu'est-ce qui est susceptible de réunir une organisation syndicale altermondialiste, une association caritative musulmane et un évangéliste chrétien?

Le point commun est leur anti-impérialisme, c'est-à-dire leur contestation du régime politique de la démocratie libérale.

La lutte contre l’impérialisme (que certains appellent la lutte contre le mondialisme) est une notion suffisamment vague pour rassembler des organisations et des individus que parfois tout oppose idéologiquement[1]. Dans les pays du tiers-monde, notamment les anciens pays colonisés et les pays arabo-musulmans, elle correspond traditionnellement au combat des peuples autochtones pour leur indépendance (la lutte anticoloniale) et vise à combattre l’Occident et ses valeurs. Dans les pays occidentaux, elle s’oppose principalement à la mondialisation sauvage mise en place par une oligarchie internationale qui veut maintenir sa domination économique, culturelle et politique sur les peuples[2].

La « doctrine » anti-impérialiste est le résultat d’un savant mélange entre la lutte des classes chère à Karl Marx et ce que certains penseurs[3] appellent le sociologisme, autrement dit la dérive de la sociologie moderne qui entend proposer une analyse globale de la société au départ d’un prisme qui opposerait systématiquement les dominants (« in-group ») aux dominés (« out-group »). Cette critique des démocraties libérales n’est pas uniquement l’apanage des mouvements altermondialistes mais trouve un écho favorable auprès d’organisations et d’individus qui se situent à l’autre extrémité de l’échiquier politique qui sont ouvertement anti-impérialistes (par ex. les adeptes chrétiens de la théologie de la libération).

Si on devait résumer leurs propos, on pourrait dire que ceux qui se retrouvent aujourd’hui dans le courant de pensée anti-impérialiste sont tous contre la démocratie représentative, les États-Unis, l’Europe libérale et Israël.

Ce qui a pour effet quasi mécanique de placer la majorité des sympathisants de BDS à l’extrémité d’au moins un des trois clivages suivants :


[1] Ainsi par exemple sur l’échiquier politique français, les partis politiques de la gauche radicale (F.I., P.C., NPA, etc.), Ecolo, l’aile gauche du PS, la droite souverainiste (du style Dupont-Aignan) et l’extrême-droite (R.N.) se proclament aujourd’hui tous ouvertement anti-impérialistes.

[2] Pour illustrer cette lutte contre
le mondialisme, voir par exemple sur la toile la déclaration finale du
forum mondial organisé à Durban en 2001 signée par 1.500 ONG.

[3] Voir notamment P. Val, Malaise
dans l’inculture
, Grasset, Paris, 2015 ; R. Boudon, La logique du
social
, Pluriel, 1983 ; R. Aron utilise également ce terme.

Le réseau international du BNC

Le comité central BNC a référencé sur le site internet du mouvement, la liste, par pays, des organisations qui sont ses principaux partenaires à l'étranger. Le BDS International.

Typologie des partenaires étrangers

BDS prétend que "des milliers d'organisations et de groupes font partie du mouvement mondial BDS".  Bien que cette information soit totalement invérifiable, un examen attentif de la liste publié par le BNC permet de catégoriser les partenaires étrangers stratégiques en cinq grands ensembles :

a) Des organisations et associations altermondialistes

Ont par ex. signé la Charte de BDS France des organisations et partis politiques de gauche radicale (Nouveau Parti Anticapitaliste (N.P.A), Front de Gauche (englobé aujourd’hui dans La France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon), des organisations syndicales (CGT.-INRA, CGT Educ’action, Confédération Nationale du Travail - CNT, Confédération paysanne, Union syndicale Solidaires) et des organisations altermondialistes (ATTAC France, Fédération pour une Alternative Sociale et Ecologique (FASE), Organisation Communiste Libertaire).

b) Des organisations « communautaristes"

Ont par ex. signé la Charte de BDS France: Collectif des Musulmans de France (CMF), Association des Travailleurs Maghrébins en France (ATMF), Association des Tunisiens en France (ATF), Fédération des Tunisiens pour une Citoyenneté des deux Rives (FTCR), Font Populaire Tunisien en Ile de France, Mouvement Immigrations Banlieues (MIB), Union Française des Consommateurs Musulmans.

c) Des organisations juives antisionistes:

Ont par ex. signé la Charte de BDS France: Union Juive Française pour la Paix (UJFP), Réseau Juif International Antisioniste – IJAN (FR), Collectif judéo-arabe et citoyens pour la Palestine en France.

d) Des « amicales » pro-palestiniennes (groupes de solidarité):

Ont par ex. signé la Charte de BDS France: Association France-Palestine Solidarité – A.F.P.S., Intifada 76, etc.

e) Des organisations et associations religieuses

Ont par ex. signé la Charte de BDS France. Commission Proche-Orient de Pax Christi, Participation et Spiritualité Musulmanes (PSM), etc.

Les partenaires principaux français

Il y en a quatre pour la France:

  • BDS France : coalition de plus de 60 organisations nationales et comités locaux qui ont lancé un appel pour une campagne de boycott en France.

  • Union Juive Française pour la Paix (UJFP) : association qui se présente comme "militant pour le droit au retour et contre l'impunité israélienne". Le nombre de ses membres adhérents n'est pas public.

  • Association France Palestine Solidarité (AFPS) : association qui se présente comme "dédié à la lutte pour les droits du peuple palestinien, à travers le plaidoyer et les campagnes incluant le BDS". Elle affirme compter près de 5.000 membres répartis dans 100 groupes locaux en France mais cette donnée n'est pas vérifiable.

La majorité des partenaires référencés par le BNC sont des mouvements progressistes nationaux et internationaux. La mouvance altermondialiste est ainsi indubitablement la mouvance dominante au sein de la branche internationale de B.D.S.