Monthly Archive 28/04/2019

Le boycott culturel d’Israël par BDS

28/04/2019 Commentaires fermés sur Le boycott culturel d’Israël par BDS By CERSP

Une initiative du PACBI

Le boycott culturel international d’Israël est une initiative lancée par un collectif regroupant des universitaires, artistes et autres intellectuels palestiniens, le PACBI[1], à la suite du Forum des ONG de Durban de 2001. Co-fondé par Omar Barghouti, il demande à la communauté internationale de boycotter l’ensemble des activités culturelles ou festives organisées en Israël, allant des festivals cinématographies à des expositions d’art, en passant par des performances musicales et de danses, conférences, etc., ainsi que les manifestations internationales commanditées, financées ou parrainées par Israël.

Le PACBI exhorte les travailleurs culturels internationaux(artistes, écrivains, cinéastes) et les organisations culturelles, y compris les syndicats et les associations, dans la mesure du possible, à boycotter et/ou à œuvrer en faveur de l'annulation d'événements, d'activités, d'accords ou de projets impliquant Israël, ses groupes de lobbying ou ses institutions culturelles, ou qui, d'une autre manière, favorisent la normalisation d'Israël dans la sphère culturelle mondiale, blanchissent les violations par Israël du droit international et des droits des Palestiniens ou violent les directives du BDS.

Source: PACBI Statement: "Guidelines for the International Cultural Boycott of Israel ", July 2014 (trad. libre)

Trois axes

Les lignes directrices édictées par BDS pour le boycott culturel international d’Israël tournent autour de trois axes majeurs :

1. La culture permettrait d'occulter les crimes d'Israël

Par présomption, toutes les institutions culturelles israéliennes sont les complices du régime sioniste.

Les institutions culturelles israéliennes font partie intégrante de l'échafaudage idéologique et institutionnel du régime israélien d'occupation, de colonisation et d'apartheid contre le peuple palestinien. Par leur silence ou leur participation active, ces institutions sont clairement impliquées dans le soutien, la justification et le blanchissement de l'occupation israélienne et le déni systématique des droits des Palestiniens.

F.A.Q.: "How are Israel cultural institutions complicit in Israeli violations of Palestinian rights? " (trad. libre)

BDS interdit à quiconque le droit d’assister ou de participer à des activités culturelles réalisées sur le territoire israélien (par ex. l’Eurovision 2019, Gay-Pride, etc.) car cela contribue « à donner la fausse impression qu’Israël est un pays normal ».

2. La culture serait un outil de propagande (Hasbara)

La culture est exclusivement perçue comme un instrument de propagande visant à donner une image positive d’Israël (Hasbara). Elle ferait partie d’un vaste plan marketing ourdi par les plus hautes instances de l’Etat hébreu pour redorer son blason à l’étranger[2]. BDS interdit dès lors à quiconque le droit d’assister ou de participer à des manifestations culturelles internationales (par ex. Tel-Aviv sur Plage à Paris) commanditées, parrainées ou financées par Israël ou ses officines locales car cela ferait partie de son plan machiavélique « visant à améliorer son image » et développer ainsi la « marque Israël » à l’étranger.

Pour cette même raison, BDS refuse toute collusion avec les pacifistes et intellectuels israéliens. Les élites culturelles et universitaires sont « naturellement » les fers de lance de la « hasbara » version marketing. Israël leur assigne en permanence la « mission de contribuer à la lutte contre la délégitimation en apparaissant à l’étranger comme les représentants d’une culture pluraliste, créative et dynamique »[3].

3. La culture modifierait le paradigme du conflit

La culture n’est jamais vue comme un moyen pacifiste de rapprocher les peuples. Pour BDS, le rapport entre Israéliens et Palestiniens est basé sur le paradigme oppresseur/opprimé. Les productions artistiques mixtes israélo-palestiniennes doivent être boycottées car elles contribuent « à donner la fausse impression que les parties au conflit sont égales entre elles » et viennent de ce fait modifier le paradigme originel en mettant les deux parties sur un plan symétrique, toutes deux « responsables du conflit »[4].

Toutes les activités culturelles, projets, événements et produits impliquant des Palestiniens et ou d'autres arabes d'une part et des Israéliens de l'autre et qui sont fondés sur le faux principe de symétrie entre les oppresseurs et les opprimés ou qui laisseraient entendre que les deux, colonisateurs et les colonisés, sont co-responsables du " conflit" sont des formes de normalisation intellectuellement malhonnêtes et moralement répréhensibles qui devraient être boycottées. Loin de remettre en cause le statu quo injuste, de tels projets contribuent à son renforcement.


PACBI Statement: "Guidelines for the International Cultural Boycott of Israel ", July 2014 (trad. libre)


[1] Palestinian Campaign for the Academic and Cultural Boycott of Israel

[2] Nathaniel Popper : “Israel Aims to Improve its Public Image”, Forward, October 2005.

[3] Françoise Feugas, « Derrière la vitrine culturelle, une intolérable occupation », 19 mai 2017

[4] PACBI Statement : « Israel’s Exceptionalism : Normalizing the Abnormal”, October 2011

La règle de la majorité

16/04/2019 Commentaires fermés sur La règle de la majorité By Céline Lagrange

Dans une démocratie, la règle du jeu principale est celle de la majorité : puisque le peuple y est souverain, toutes les décisions le concernant doivent refléter le choix préférentiel de la majorité de la population. Il en découle une règle de la majorité qui paraît assez simple à mettre en œuvre sur le papier : il suffirait de demander à chaque individu de classer ses choix par ordre préférentiel pour faire émerger une préférence collective.

Logique mathématique

Il a toutefois été démontré que cette règle du classement préférentiel se heurtait dans la plupart des cas à une impossibilité mathématique. Autrement dit, on peut parfois arriver à une situation collective paradoxale qui rend toute décision impossible.

La résolution politique du problème mathématique ainsi posé passe par une contorsion de la règle de départ. Pour le dire très brièvement, il faut élaborer une règle de la majorité qui permette d’éviter « l’effet Condorcet » (1) et ainsi pouvoir dégager une préférence collective tout en évitant de tomber dans la « dictature démocratique » théorisée par Arrow.

La règle de la majorité lors d’une compétition électorale

L’exemple de l’élection présidentielle française permet d’illustrer le tripatouillage de la règle majoritaire dans une démocratie. Les constitutionnalistes français de la Vème République ont imaginé pouvoir dégager la préférence collective au départ d’un scrutin majoritaire qui se déroule en deux tours :  au premier tour les électeurs doivent désigner un seul candidat de leur choix sans donner aucun ordre de préférence, sans se préoccuper du classement des uns par rapport aux autres. Les deux candidats ayant obtenu le plus de suffrages au premier tour ont ensuite le droit de s’affronter lors d’un second tour, tous les autres candidats étant éliminés. Le vainqueur de l’élection est celui des deux derniers candidats qui obtient la majorité absolue (plus de 50% des voix).

La règle illustrée

Les partisans d’Emmanuel Macron peuvent ainsi affirmer que le pouvoir du Président actuel est parfaitement légitime puisqu’il a obtenu la majorité absolue (66%) des suffrages des électeurs au second tour. Il est l’expression de la préférence collective. Mais ses pourfendeurs peuvent tout aussi bien affirmer qu’il n’est pas du tout légitime puisque la majorité de la population a voté à 77% pour d’autres candidats que lui lors du premier tour. Tandis que d’autres pourraient aussi ajouter le fait que si le vote avait été préférentiel, et bien qu’ayant voté pour un autre candidat au premier tour, ils auraient sans doute mis Emmanuel Macron en deuxième choix, auquel cas cela ajouterait quand même du poids à sa légitimité.

Il est donc possible de dire tout et son contraire de la règle majoritaire. Si bien qu’au final, ce qui est le plus important, c’est que la majorité de la population ne remette pas en cause la règle en elle-même. Pour cela, il est impératif que le décideur politique fasse en sorte que ceux qui n’ont pas voté pour lui ne soient pas exagérément malheureux. Il doit ainsi trouver un équilibre entre les intérêts de son propre électorat et la satisfaction des intérêts de la collectivité dans son ensemble, de l’intérêt général. Pour le reformuler plus grossièrement, il faut que celui qui exerce le pouvoir ne gouverne pas uniquement pour ses électeurs mais accepte de partager suffisamment le gâteau pour contenter tout le monde sous peine de voir sa propre légitimité être remise en question. Le niveau de bien-être général devient de la sorte un élément essentiel du ralliement de la population dans son ensemble à une règle majoritaire qui n’est pas parfaite dans son application.

La culture du compromis

Cette recherche constante du compromis entre les intérêts particuliers d’une minorité et l’intérêt général de la majorité constitue le véritable garant du bon fonctionnement de la démocratie libérale. La culture du compromis est ainsi l’essence même de ce régime ce qui vient contredire la grille de lecture marxiste primaire selon laquelle les institutions politiques d’une démocratie représentative ne seraient au service que des seuls intérêts de la classe sociale dominante au détriment des masses populaires laborieuses.

Les limites de la démocratie

Le régime de la démocratie représentative commence en revanche à montrer ses propres limites lorsque les décisions prises par le pouvoir politique finissent par exaspérer la majorité de la population au point qu’elle en arrive à contester la légitimité même de celui qui occupe le pouvoir.

Les « Gilets Jaunes » qui exigent depuis plusieurs mois la démission sine die d’Emmanuel Macron sont probablement l’illustration la plus actuelle de cette exaspération. La colère qui gronde sur les ronds-points est un message envoyé au chef de l’État pour lui signifier que sa politique a rompu l’équilibre indispensable au bon fonctionnement de la démocratie. A charge pour le Chef de l’État de tenter de rétablir cet équilibre et ainsi sauver son quinquennat.

Il est cependant encore trop tôt pour savoir si l’exaspération des « Gilets Jaunes » est un épiphénomène qui se calmera avec les futures mesures qui seront prises par l’Exécutif français ou s’il s’agit au contraire d’une lame de fond beaucoup plus profonde qui pourrait emporter la démocratie française elle-même. Lorsque l’on sait qu’aux dernières élections présidentielles françaises de 2017 à peu près la moitié du corps électoral français s’est soit abstenue de voter soit a déposé dans l’urne un bulletin de vote en faveur de partis (LFI ou FN) qui ont fait de la démagogie le cœur de leur programme, cela commence tout de même à faire beaucoup de mécontents.


(1) Pour une explication détaillée du « paradoxe de Condorcet » voir notamment: J. Couppey-Soubeyran : « Le paradoxe de Condorcet« , Alternatives Économiques, avril 2013; D. Reynié: « Le problème de l’agrégation des préférences individuelles en un choix collectif cohérent: « l’effet Condorcet« , in le Dictionnaire du vote, P.U.F., 2001.

Le Brexit ? Une leçon magistrale de démocratie

09/04/2019 Commentaires fermés sur Le Brexit ? Une leçon magistrale de démocratie By Céline Lagrange

Le résultat du référendum populaire de 2016 marquant la volonté de la population britannique de quitter l’Union Européenne a surpris pas mal de monde, en premier lieu ses principaux instigateurs. Les leaders politiques comme Nigel Farage ou Boris Johnson, qui avaient fait campagne pour le Brexit, ont depuis quitté le navire, de même que David Cameron, ex-Premier Ministre, qui avait eu l’ingénieuse idée de l’organiser.

La gestion du Brexit

A la suite de ce référendum, le pouvoir politique anglais s’est retrouvé malgré lui à devoir gérer un défi de taille : trouver une solution qui respecte la décision du peuple de quitter de l’Union Européenne mais qui en même temps protège la population britannique contre les effets potentiellement désastreux de sa propre décision en cas de « no deal », de sortie désordonnée. Le personnel politique s’est attelé à cette tâche ardue pendant près de trois ans, essuyant de vives critiques et railleries, incapable selon certains de gérer correctement la mission confiée par le peuple de mener le Brexit à son terme.   

Pourtant, à y regarder de plus près, les Britanniques viennent de nous donner une leçon magistrale de démocratie.

Le jeu politique anglais

On raconte bien souvent que l’Angleterre est la plus vielle démocratie du monde, ce qui n’est pas exact. Les institutions politiques anglaises sont, certes, ancestrales (le Palais de Westminster qui date de l’an 1097 est surnommé « la mère des Parlements »), mais elles ne se sont démocratisées qu’au fil du temps. Avec pour résultat une démocratie anglaise actuelle dotée de règles du jeu politique extrêmement complexes et codifiées. A l’instar d’un jeu d’échec, chaque acteur détenant une parcelle du pouvoir politique (le Premier Ministre, le parti de la majorité, le parti de l’opposition, les parlementaires, etc.) est une pièce disposée à une place précise sur l’échiquier politique anglais et possède des règles de déplacement qui lui sont propres.  

Le feuilleton politique du Brexit

Le feuilleton du Brexit est le dernier exemple en date de la manière dont fonctionnent les institutions politiques anglaises avec la particularité, il est vrai, d’un scénario « abracadabrantesque » : un projet d’accord de retrait conclu avec Bruxelles après dix-sept mois d’âpres négociations qui est présenté trois fois et rejeté autant de fois par la Chambre des Communes, une Première Ministre qui survit à une motion de défiance introduite par les membres de son propre parti, une opposition travailliste qui réclame la démission du gouvernement et la tenue d’élections législatives anticipées à chaque session parlementaire, douze options alternatives présentées par des parlementaires de tous bords et toutes rejetées par les parlementaires eux-mêmes, Theresa May qui propose sa démission mais qui reste en place, le Speaker John Bercow qui interdit au gouvernement de remettre au vote un même texte sur base d’une règle datant de 1604 (!), plus de 500 heures consacrées au Brexit par la Chambre des communes, etc. La mécanique des contre-pouvoirs, indispensable dans une démocratie, empêche le pouvoir en place de dériver vers un pouvoir absolu et rend nécessairement le temps long.

Quelles leçons faut-il tirer du Brexit ?

Le feuilleton politique du Brexit touche maintenant à sa fin. Theresa May, politiquement essorée, a réussi avec le soutien tacite du chef de l’opposition travailliste Jeremy Corbyn et celui explicite des dirigeants européens, à porter un coup probablement décisif aux Brexiters les plus durs du parti conservateur. La sortie de route tant redoutée par le personnel politique anglais, le « no deal », semble écartée et l’accord négocié avec Bruxelles la seule et unique alternative. Les Brexiters durs ont désormais le choix entre signer l’accord négocié ou leur déroute annoncée aux élections européennes au Royaume-Uni et la probable tenue d’élections législatives anticipées dans la foulée.

Le résultat du référendum de 2016 a failli enrayer toute la mécanique institutionnelle anglaise. Le pouvoir politique, mis un temps K.O. par la décision de la population britannique de sortir de l’Union Européenne a finalement réussi à relever le défi qui lui avait été imposé tout en évitant le chaos et ce, par la grâce des règles du jeu politique de la démocratie anglaise. Une Europe très politique vient également d’émerger. La manière dont les principaux acteurs européens (le commissaire Michel Barnier, le Président du Conseil Donald Tusk et le président de la Commission Jean-Claude Juncker) ont géré le Brexit depuis trois ans démontre que l’Europe politique que d’aucuns disaient moribonde vient de franchir un cap très important.

En revanche il n’est pas du tout certain que la population britannique sortira gagnante de ce capharnaüm. Le référendum que certains présentent comme étant la quintessence de la démocratie est en réalité une bombe à fragmentation qui a pour principal résultat non pas de refléter l’opinion de la population d’un pays mais de la déchirer durablement en deux.

Les « Gilets Jaunes », c’est Machiavel 1 – Marx 0

Le régime de la démocratie représentative fait traditionnellement l’objet d’une double critique de la part de ses adversaires les plus farouches : la critique marxiste formulée par les opposants de sa gaucheetla critique machiavélienne par ceux de sa droite.

La critique marxiste

Les tenants de la critique marxiste estiment que la démocratie représentative ou libérale est une fiction, une illusion. L’Etat libéral (les partis politiques, les élections, etc.) ne serait qu’un instrument aux mains de la classe économiquement dominante lui permettant de continuer à prospérer sur le dos des masses populaires. Les libertés individuelles et sociales n’y seraient pas réelles mais uniquement formelles.

Les disciples de cette grille de lecture marxiste se présentent en rivaux des démocraties libérales. Ils rêvent de la remplacer, via une insurrection populaire, par un autre régime où les masses populaires détiendraient elles-mêmes le pouvoir. Dans l’Europe occidentale du XXIème siècle, ce courant politique traverse les partis populistes de gauche comme le parti grec Zyriza d’Alexis Tsipras, le parti espagnol Podemos de Pablo Iglesias ou encore le parti français La France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon.

La critique machiavélienne

Les opposants de droite estiment, eux, que le régime de la démocratie représentative dissout l’unité nationale. Les valeurs progressistes qui y sont prônées (l’égalité entre les hommes et les femmes, la séparation des Eglises et de l’Etat, l’intégration des populations immigrées, etc.) fractureraient la société civile en fonction des intérêts particuliers de chacun au détriment de l’intérêt de la nation vue comme un singleton. Le système politique (les partis politiques, les élections, etc.) favoriserait cette fracturation puisque ceux qui sont gouvernés ont des intérêts divergents et ceux qui souhaitent accéder au pouvoir en se présentant aux élections sont obligés de faire des promesses parfois contradictoires pour espérer être élus.

C’est à partir de ce moment qu’on glisse vers la critique qui a été la critique fondamentale des fascistes contre la démocratie représentative [1]. Pour les opposants de droite, ce qui caractériserait la démocratie libérale, ce n’est pas l’antagonisme de classes théorisé par Marx mais la nature intrinsèque des hommes politiques qui la gouverne. Se référant aux écrits de Machiavel sur les lions et les renards, il y aurait selon eux deux types de gouvernants : ceux qui gouvernent par la force et ceux qui gouvernent par la ruse. Les hommes politiques qui gouvernent les démocraties libérales ne sont pas des hommes qui exercent le pouvoir par la force. Pour obtenir le suffrage de leurs concitoyens, ces hommes doivent convaincre par la ruse. Ce sont donc principalement des hommes qui savent parler (avocats, professeurs, journalistes, etc.). Or, ces hommes de parole sont toujours en relations plus ou moins complexes avec les hommes d’argent, car pour gagner des élections et pour gouverner, en démocratie, on a besoin d’argent. La démocratie représentative est donc, pour la critique machiavélienne, un régime oligarchique de type ploutocratique : la minorité qui détient le pouvoir serait influencée par les riches, les industriels, les banques, etc. Au bout de compte la démocratie serait toute apparente puisque des minorités souvent dissimulées dans l’ombre, prendraient les décisions les plus importantes [2].

Les partis politiques qui adoptent cette grille de lecture machiavélienne se présentent eux aussi en rivaux des démocraties libérales. Ils rêvent, par un coup de force, de la remplacer par un nouveau régime dans lequel un homme fort exercerait le pouvoir avec l’assentiment des masses populaires. Dans l’Europe du XXIème siècle, ce courant politique traverse des partis populistes de droite comme le parti italien de la Ligue de Matteo Salvini, le parti hongrois Fidesz-MPSZ de Viktor Orban ou encore le parti français Rassemblement National de Marine Le Pen.

Mais de quel côté penchent les « Gilets jaunes » ?

Moins de taxes, une revendication majeure des « Gilets Jaunes »

La plupart des commentateurs et autres experts de la vie politique s’accordent pour dire que le mouvement des « Gilets Jaunes » est un rassemblement hétéroclite. Cette analyse est parfaitement fondée pour ce qui concerne les revendications sociales et politiques que l’on a vu fleurir lors des manifestations et sur les réseaux sociaux, et qui sont aussi nombreuses que les « Gilets Jaunes » eux-mêmes [3]. Une enquête publiée dans Le Monde révèle néanmoins que les deux tiers des demandes des « Gilets Jaunes » sont très poches de la gauche radicale et dès lors compatibles avec le programme de Jean-Luc Mélenchon [4].

Le dénominateur commun entre tous les « Gilets Jaunes » est selon nous à rechercher non pas du côté de leurs revendications mais plutôt du côté de leur critique acerbe, fondée ou non, du régime de la démocratie représentative.

Les « Gilets Jaunes » se disent très majoritairement trahis par l’élite politique et la considèrent totalement corrompue. Ils sont convaincus que les hommes politiques qui ont gouverné la France ces cinquante dernières années sont pour la majorité des hommes de parole vendus aux puissances de l’argent. Emmanuel Macron, homme de lettres et ex-banquier d’affaires est à ce titre considéré comme l’égérie de cette élite corrompue. Pour certains, le pédigrée de la banque (Rothschild) en serait même l’éclatante démonstration.

Si on devait résumer les griefs des « Gilets Jaunes » à l’encontre de la démocratie libérale, on pourrait dire qu’ils estiment que la France est aujourd’hui gouvernée par une oligarchie corrompue manipulée par des puissances économiques et financières (les multinationales et les banques) dissimulées dans l’ombre qui prendraient les décisions les plus importantes à leurs seuls profits au détriment du peuple. Leur préférence va désormais vers un régime politique où le peuple donne directement ses injonctions au pouvoir en place sans passer par le filtre des corps intermédiaires que sont les partis politiques ou les syndicats. 

Le peuple affamé par les riches

Si cette analyse est exacte, on peut alors en conclure que le mouvement des « Gilets Jaunes » penche plutôt nettement à droite de l’échiquier politique puisque leur critique de la démocratie représentative, vue comme une oligarchie de type ploutocratie, est en tout point comparable à celle développée par les machiavéliens. Reste encore à trouver l’homme fort providentiel, ce qui ne saurait tarder. L’Italie et la Hongrie l’ont déjà trouvé. A ce moment la France abandonnera elle aussi le régime de la démocratie libérale pour entrer dans quelque chose d’autre.

Quant au parti La France Insoumise, créditée d’un score de misère pour les prochaines élections européennes, son erreur stratégique fut probablement d’avoir gommé dans ses discours toute référence à la logorrhée traditionnelle de la gauche radicale (prolétariat, bourgeoisie, classes sociales, etc.) sans doute trop désuète pour adopter le même langage machiavélien que Marine Le Pen en espérant ainsi rallier à lui tous les mécontents du système. Les électeurs préfèrent toujours l’original à la copie.

N’en déplaise à Jean-Luc Mélenchon, les « Gilets Jaunes » c’est donc Machiavel 1, Marx 0.


[1] Voir les nombreux travaux de Raymond Aron sur ce sujet, notamment: R. Aron : « Démocratie et totalitarisme », Ed. Gallimard, 1965; R. Aron : « Introduction à la philosophie politique », Ed. de Fallois, 2018.

[2] Vilfredo Pareto : « traité de sociologie générale », Ed. Fayot, 1917

[3] Voir par exemple l’article d’A. Caihol : « Les « gilets jaunes », un magma de revendications hétéroclite », Libération, décembre 2018.

[4] Enquête intitulée « Sur un axe de Mélenchon à Le Pen, où se situent les revendications des « gilets jaunes ? » publiée dans Le Monde, décembre 208.